La petite histoire d’un hôtel du C.P. 1


La compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique est notamment célèbre pour avoir construit entre 1888 et 1930 de grands hôtels de prestige destinés à attirer des touristes fortunés sur les sites spectaculaires traversés par ses voies ferrées. Inspirés du style des châteaux de la Loire, plusieurs d’entre eux sont devenus des icônes du paysage canadien : on n’a qu’à penser au château Frontenac à Québec, au Royal York à Toronto, ou encore au Banff Springs Hotel dans les montagnes Rocheuses. Mais il existait aussi dans le Mile End un hôtel beaucoup plus modeste qui a porté pendant plusieurs décennies le nom d’«hôtel du C.P.», même s’il n’a jamais appartenu à la dite compagnie.

Aujourd’hui disparu, cet hôtel a occupé pendant plus de 107 ans un emplacement situé au coin nord-est des rues Saint-Laurent et Bernard, à quelques pas de la gare du Mile End du C.P., située un peu plus à l’est sur Bernard. L’ouverture de la gare en 1876 créa un nouveau carrefour dans un secteur jusque là complètement rural. Auparavant, les habitants du quartier et les voyageurs de passage fréquentaient plutôt les hôtels situés à l’autre carrefour du Mile End, situé plus au sud, à l’intersection de Saint-Laurent et Mont-Royal. L’histoire de l’hôtel du C.P. est intimement liée à celle de sa famille fondatrice, les Hogue1. Deux interviews avec des membres de cette famille, réalisées à près de 50 ans d’intervalle, permettent d’en donner un aperçu.

Le premier article a été publié par le Petit Journal, le 8 mai 1938. Le journaliste-historien Robert Prévost, dans le cadre d’une série sur les «Pieds-Noirs» (surnom donné aux ouvriers travaillant dans les nombreuses carrières du Mile End), avait réussi à retracer Télesphore Hogue, le premier propriétaire de l’hôtel, alors âgé de 94 ans et résidant à Sainte-Anne de Bellevue. Dans son introduction, Prévost qualifie la mémoire du nonagénaire d’«étonnante». Voici un extrait de l’entrevue :

— N’êtes-vous pas un ancien hôtelier?
— Oui, c’est moi qui ai bâti l’hôtel du C.P.R., situé au coin des rues Bernard et Saint-Laurent en 1878. Dans ce temps-là, il n’y avait pas d’égoûts, pas de trottoirs, et encore moins de lumières dans les rues. Mon établissement s’élevait dans un endroit plutôt solitaire. Du côté nord, je n’avais pas de voisins jusqu’à un Irlandais qui demeurait sur le terrain où se trouve aujourd’hui l’Institut des Sourds-Muets2.
— Et du côté sud?
— Moins heureux que pour le côté nord, je n’avais pas de voisin au sud jusqu’à la rue Laurier. Il y avait cependant une bicoque aux alentours de la rue Saint-Viateur, où demeurait le gardien d’une barrière qui conduisait en dehors de la ville. Cette barrière était tenue par la commission des Chemins [à] barrière, laquelle percevait un droit de passage variant selon le genre de voitures qui sortaient de Montréal.

L'hôtel de la gare, mars 1940 (Archives de la ville de Montréal)

L’hôtel de la gare, sur la droite de la photo, mars 1940 (Archives de la ville de Montréal)

Notes:
1. Une recension des annuaires Lovell, faite par Justin Bur, permet de constater que c’est Noé Cloutier, le propriétaire qui racheta l’hôtel de Télesphore Hogue en 1899, qui a fait inscrire l’établissement au nom de «C.P.R. Hotel». En 1882, au moment de l’acquisition de la ligne de chemin de fer par le C.P. pour l’intégrer au futur réseau transcontinental, Hogue s’était contenté d’inscrire «Télesphore Hogue, hotel, near C.P.R.».
Longtemps après, son nouveau propriétaire Maurice Dame y apparaît en 1968-69 comme «Pres[ident] CPR Restaurant». L’annuaire Lovell, jamais à l’abri des erreurs, s’est aventuré plus loin en liant l’établissement à la compagnie ferroviaire: de 1970 à 1977, la profession du propriétaire devient simplement «Pres[ident] C.P.R.»!
2. C’est-à-dire non loin de l’actuel parc Jarry.

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