Les terrains de jeux du Mile End 4


le parc Parasol en hiver. Armin Schuhmann, 7 mars 1978

Le parc Parasol en hiver. Photo : Armin Schuhmann, 7 mars 1978

Les parcs urbains sont créés, dans les grandes villes nord-américaines, lors de la seconde moitié du 19e siècle. Grands espaces destinés à la contemplation de la nature, comme le parc du mont Royal, ils offrent une oasis de détente au cœur de l’agitation urbaine. Inspirés par le mouvement « City Beautiful », les élus municipaux multiplient ces parcs et les squares publics qui visent aussi l’élévation morale des citoyens. Il n’est pas indifférent, non plus, pour les promoteurs fonciers que ces parcs et squares voisinent leurs lots à bâtir, dont ils augmentent considérablement la valeur. À Montréal, les banlieues bourgeoises d’Outremont et de Westmount offrent de parfaits exemples de ce type d’aménagement.

Dans la partie ouest du Mile End, alors nommée The Annex, c’est un peu le chaînon manquant d’un projet résidentiel haut de gamme, lancé en 1891. Jusqu’en 1908, promoteurs et résidants multiplient les pétitions au conseil municipal de ville Saint-Louis afin d’obtenir un parc dans un quadrilatère vacant, situé entre les avenues Fairmount, du Parc, Laurier et Esplanade, là où sera construite, en 1920, la synagogue B’nai Jacob, aujourd’hui un pavillon du Collège français. Les pétitionnaires y soulignent que Fletcher’s Field (le parc Jeanne-Mance) est trop éloigné, pour permettre aux enfants de s’y rendre, à moins qu’il ne s’agisse d’excursions supervisées, d’au moins une demi journée.

Le débat se poursuit toujours, un quart de siècle plus tard, mais il a pris une autre forme. L’Annexe a perdu son caractère de banlieue réservée aux classes moyennes et elle est devenue un quartier populaire densément peuplé, surtout juif. Depuis le début du 20e siècle, des ligues réformistes, comme la Montreal Parks and Playgrounds Association réclament des parcs qui soient aussi des terrains de jeux, « afin de retirer les enfants de la rue ». Le loisir organisé devient un instrument d’intégration sociale, qui vise « à contrer l’oisiveté malsaine et à lutter contre la délinquance juvénile ». Le 8 juillet 1932, le Canadian Jewish Chronicle publie une lettre ouverte d’un groupe de parents de l’avenue de l’Esplanade. Ils rappellent aux élus municipaux leur promesse non-tenue d’ouvrir un terrain de jeux. Les parents dénoncent le fait que leurs enfants n’ont pas d’autre endroit que la rue ou les ruelles pour jouer ; de plus, la cour de l’école Fairmount — également aujourd’hui un pavillon du Collège français — est cadenassée. Cette partie du Mile End située au nord de l’avenue Laurier forme alors le district Saint-Michel. À chaque élection municipale, les candidats y font campagne sous le leitmotiv « Saint-Michel, quartier oublié ». Ils promettent tous, de 1921 à 1940, un terrain de jeux, mais celui-ci ne se concrétise jamais.

Un reportage photographique de Conrad Poirier fait en 1942 permet de constater que le YMCA de l’avenue du Parc (alors appelé le North End YMCA) a pris le relais. Un terrain de jeux a été aménagé sur le terrain adjacent à son édifice. Mais, quelque part pendant les années 1950 ou 1960, celui-ci disparait. La généralisation du recours à l’automobile l’a transformé en stationnement, probablement destiné aux employés qui ont migré vers la banlieue. Et ce n’est pas parce qu’il y a moins d’enfants, au contraire. Le Mile End est un quartier d’immigrants nouvellement arrivés, qui commencent au bas de l’échelle et il est considéré comme l’un des plus pauvres à Montréal. À tel point que le YMCA décide, à la fin des années 1960, de faire de l’intervention sociale dans le quartier l’une de ses priorités : il engage des animateurs qui organisent des loisirs pour les enfants de ces immigrants, surtout grecs. Les activités se tiennent alors dans les ruelles, car, se souvient l’un d’entre eux, il n’y avait alors pas d’autre endroit pour jouer en plein air.

Enfants jouant au terrain de jeux du « North End YMCA », avenue du Parc. Conrad Poirier, 10 juillet 1942. BAnQ P48 S1 P7518

Enfants jouant au terrain de jeux du « North End YMCA », avenue du Parc. Conrad Poirier, 10 juillet 1942. BAnQ P48 S1 P7518.

Enfants jouant au terrain de jeux du « North End YMCA », Conrad Poirier, 10 juillet 1942. BAnQ, P48 S1 P7517

Enfants jouant au terrain de jeux du « North End YMCA », Conrad Poirier, 10 juillet 1942. BAnQ, P48 S1 P7517.

Au printemps 1973, des parents se regroupent dans le « Esplanade Street Association ». Ils réclament des mesures d’apaisement de la circulation pour protéger les enfants, comme un feu clignotant, et la création d’un terrain de jeux. Après une série de moyens de pressions : pétition de 600 noms, blocage de l’avenue Van Horne, etc. on leur promet un terrain de jeux. Mais, un an après, la porte-parole du groupe constate que rien n’a été fait. Il faudra l’intervention d’une militante de l’Association et jeune étudiante en architecture, Marilyn Montblanch, pour convaincre le YMCA de faire renaitre le terrain de jeux de l’avenue du Parc. En 1976, elle propose le « projet Parasol ». Il s’agit de transformer le stationnement en mini-parc et en café-terrasse. Le parc, inauguré le 6 juillet 1977, sert aux enfants et aux animateurs du Camp de jour du YMCA. En soirée, place au Café et à des spectacles organisés par des groupes communautaires du quartier.

Le stationnement du YMCA international, avant l'aménagement du parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch.

Le stationnement du YMCA, avant l’aménagement du parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch.

Spectacle pour enfants au parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch

Spectacle pour enfants au parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch.

Le parc parasol disparaît cependant pendant les années 1990. L’édifice du Y, construit en 1913 et jugé vétuste, est démoli en 1993 pour faire place à l’édifice actuel. La piscine occupe dorénavant l’espace du parc Parasol. Mais les années de mobilisation des résidants du quartier commencent à porter leurs fruits. En 1987, le YMCA collabore avec le Comité des citoyens du Mile End et le diocèse anglican de Montréal pour ouvrir un autre mini-parc à deux pas, à côté de l’église de l’Ascension. Il existe encore aujourd’hui ; c’est le parc Mile End, qui jouxte la bibliothèque Mordecai-Richler. Vers la fin des années 1980, la ville de Montréal désigne le quartier « secteur prioritaire pour l’équipement de loisirs ». En 1987, le terrain de jeux aménagé dans le stationnement de l’école Édouard VII obtient le statut officiel de parc-école. Le parc Clark – aujourd’hui Lhasa-De Sela –, un espace résiduel plus ou moins à l’abandon résultant des expropriations pour construire le viaduc Rosemont-Van-Horne et le tunnel de la rue Saint-Urbain, ouvert au milieu des années 1970, est réaménagé en 1999. Le parc Toto-Bissainthe, du nom d’une chanteuse haïtienne, situé au coin nord-est de l’intersection Hutchison et Van Horne est également aménagé vers 1980.

Enfants jouant au parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch.

Le parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch

Enfants jouant au parc Parasol. Photo : Marilyn Montblanch.

Sources utilisées pour cet article :

« New Park Proposal Crops Up Again », Montreal Daily Herald, 4 juillet 1908, p. 15.

« Esplanade Avenue », Canadian Jewish Chronicle, 7 juillet 1932, p. 9.

« Parents demand safety improvement », The Gazette, 14 avril 1973, p. 3; « Esplanade parents get pledge », The Gazette, 17 août 1973, p. 3; Shirley Curtis, Chairwoman, The Esplanade Street Association, letter to the editor, The Gazette, 31 octobre 1974, p. 8.

Entrevue avec Andrew Gryn, septembre 2015.

Entrevue avec Marilyn Montblanch, octobre 2015.

Damaris Rose, « Le Mile End, un quartier cosmopolite ? » dans Annick Germain, dir. Cohabitation ethnique et vie de quartier. Rapport final soumis au ministère des Affaires internationales, de l’Immigration et des Communautés culturelles et à la ville de Montréal, Les Publications du Québec, 1995.


4 commentaires sur “Les terrains de jeux du Mile End

  • Marilyn Berzan-Montblanch

    Thank you Yves, Joshua and Justin for the opportunity to bring Projet Parc Parasol back to life! If anyone has memories of being a parent, child or animator at the Y (International) during this time, I hope you can share them.

    The black & white photo was taken by Armin Schuhmann while he was a student at MIND, a newly formed alternative high school, housed on the top floor of the Y at that time! In the evolution of Parc Parasol I remember seeing a vegetable garden there, made by a youth group (or perhaps the MIND students)…

  • Marilyn Berzan-Montblanch

    Merci Yves, Joshua et Justin d’avoir permisent à Projet Parc Parasol de renaître dans les pages de Mémoires du Mile End.

    Si vous avez des mémoires d’y avoir joués ou participé aux activités du Parc Parasol, partagez-les s.v.p.

    L’école secondaire alternative MIND, se trouvait à l’époque, au 3ième étage du YMCA (International) – Armin Schuhmann, alors étudiant à MIND, a pris la photo du patinage en n&b… belle surprise pour moi qui a connu le parc que en été!

  • Christina Kannenberg

    I would be curious to know the history of Parc Alphonse-Télesphore-Lépine, Parc St Michel, Parc du Carmel and surrounding streets. Do you not consider this part of Mile End until recently, or were there fewer families living in this area?

    • Justin Bur

      The area around the parks you mention is certainly part of Mile End. However, in the 1970s and 80s, there were indeed fewer families in the area – or at least fewer families who were politically active and engaged. Although the east side of Saint-Laurent Boulevard was originally developed earlier than the west side, this part of the neighborhood was the last to be fixed up, toward the end of the 1990s. Also, it was relatively easy for the city to find space for parks on the east side as industries left the area. On the west side, land was scarcer and battles had to be fought to obtain playground space.

      It’s true it would be interesting to tell the story of those three parks, the green necklace of eastern Mile End. We’ll see what we can do!

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