À la place de l’édifice du 5259-5263 de l’avenue du Parc construit en 2007, qui aujourd’hui héberge la SAQ, se trouvait une des plus belles demeures de l’avenue du Parc. Entre 1943 et 1962, elle a abrité le Rabbinical College of Canada – yeshivah Tomchei Tmimim, importante institution de la communauté juive hassidique Loubavitch à Montréal et au Canada, avant qu’il ne déménage dans de spacieux locaux flambant neufs au 6405 Westbury en 1962 afin de se rapprocher de sa communauté, partie s’installer collectivement à Snowdon dans les années 1950.
Tout comme la Yiddishe Folk Shule, anciennement située au coin des rues Fairmount et Waverly, ces lieux nous racontent une histoire de résilience du peuple juif face au nazisme. En octobre 1941, un groupe de 29 étudiants juifs réussit un véritable tour de force : après un périple de presque deux années qui les a conduits de la Pologne à l’Amérique du Nord en passant par la Russie et le Japon, ces étudiants arrivent à Montréal, dans un Canada qui avait fermé ses portes aux Juifs fuyant le nazisme. Parmi eux, 9 étudiants hassidiques appartenant à la communauté Loubavitch, ouvrent une yeshivah (centre d’études de la Torah), à peine deux jours après leur arrivée, au 100 avenue des Pins. La yeshivah grandit rapidement et, après plusieurs déménagements dans le Mile End, en 1943, elle s’installe dans l’ancienne résidence du pharmacien Hercule Guerin, située au 5265 avenue du Parc.
Hercule Guerin fait construire en 1908 sa résidence principale sur l’avenue du Parc, l’avenue la plus prestigieuse de la banlieue cossue Ville Saint-Louis. Par cette grande demeure, le pharmacien-chimiste affiche son succès. Son associé Quenneville et lui possèdent une chaine de pharmacies florissantes, les pharmacies Quenneville et Guerin. Une des succursales se situe à l’angle nord-ouest du boulevard Saint-Laurent et de l’avenue Fairmount. On pouvait s’y procurer remèdes, nourritures d’enfants et autres articles. Hercule Guérin reste propriétaire de la maison sur Parc jusqu’en 1943, année où le Rabbinical College of Canada – Tomchei Tmimim en fait l’acquisition.
Le 23 octobre 1941, un groupe de 29 étudiants, fuyant le nazisme arrive à Montréal après un éprouvant périple de presque deux années qui les a menés de la Pologne au Canada en passant par la Lituanie, la Russie, le Japon, Shanghai et San Francisco. Ces étudiants juifs font partie des Juifs sauvés lors d’une opération de sauvetage des yeshivahs établies en territoires conquis par l’Allemagne nazie menée par le Vaad Hatzala, comité de secours fondé par l’Union des rabbins orthodoxes des États-Unis et du Canada. Cette opération visait à transplanter un petit groupe d’étudiants et rabbins de chacune des yeshivahs afin d’aider ces yeshivahs à survivre à la guerre. Malgré ses réticences à accueillir des réfugiés juifs, le Canada finit par délivrer 80 visas d’urgence à des étudiants et rabbins, pour la plupart des yeshivahs hassidiques loubavitch et mir de la ville d’Otwock, en Pologne. 29 étudiants et rabbins parviennent à atteindre le Canada alors que les 61 autres sont contraints de rester à Shanghai le temps de la guerre.
Les étudiants sont chaleureusement accueillis par la communauté juive montréalaise qui voit dans leur incroyable périple un miracle et une victoire sur le nazisme.
« [A] Small group of the Yeshiva-students succeeded in escaping from the Nazi hell, and it is a very great privilege for Montreal Jewry, that the centre of the European Torah-learning has been established here. […] The Yeshivos became a very blessing and pride of our Jewish life. » (1)
Parmi ces étudiants, se trouvent 9 étudiants loubavitch. Ils ne pensent faire qu’une halte à Montréal en attendant les précieux visas qui leur ouvriront les portes des États-Unis et leur permettront de rejoindre leur rebbe (le leader de la communauté), le Rabbin Joseph Isaac Schneerson, réfugié à New York. À leur grande stupéfaction, celui-ci les enjoint à rester à Montréal et à y ouvrir dans les plus brefs délais une yeshivah. Deux jours seulement après leur arrivée, ils installent une yeshivah dans le sous-sol de la synagogue orthodoxe Nusach Ari au 100 avenue des Pins ouest, sous la direction de Leib Kramer, qui en restera le directeur jusqu’à sa mort en 1999.
En raison des ressources limitées des réfugiés, la yeshivah est tenue conjointement par les Hassidim loubavitch et des Juifs mitnagedim, c’est-à-dire des Juifs orthodoxes non hassidiques. En raison de leurs différences idéologiques, en 1942 les deux communautés partent chacune de leur côté et deux yeshivahs sont créées : le Rabbinical College of Canada – Tomchei Tmimim, hassidique Loubavitch, et la yeshivah Gedola Merkaz Hatorah, mitnaggede. Cette dernière s’installera d’abord boulevard Saint-Joseph, au coin nord-ouest de l’avenue de l’Esplanade, et ensuite dans l’ancien édifice de la Yiddishe Folk Shule (École du peuple juif), au 5210 de la rue Waverly, de 1957 à 1971.
Avant de s’installer au 5265 avenue du Parc en 1943, le Rabbinical College occupera plusieurs locations dans le Mile End dont le 5287-89 Jeanne-Mance. Alors que le Collège grandit, a besoin de locaux plus spacieux et que sa communauté s’est déplacée plus à l’ouest, à Snowdon, il déménage au 6405 Westbury en 1962. Il s’installe ainsi au cœur du nouveau territoire occupé par la communauté loubavitch. Depuis les années 1950, la communauté loubavitch montréalaise est concentrée à Snowdon. Pourtant elle possède des centres communautaires, les Centres Chabad, dans des quartiers où ne vivent pas de familles loubavitch. Ceci s’explique par le prosélytisme auprès d’autres Juifs pratiqué par la communauté. Contrairement aux autres groupes hassidiques, les Loubavitch multiplient les contacts avec les Juifs de toute obédience. Ils cherchent, en effet, à convaincre tous les Juifs de vivre une vie plus religieuse. En 2015, est ouvert un centre Chabad, le Centre Chabad du Mile End, au 5316 de l’avenue du Parc, à quelques pas de la maison qui avait accueilli le Rabbinical College, aujourd’hui disparue.
Avenue du Parc, le Collège grandit rapidement en raison de sa souplesse dans la perception des frais de scolarité voire de leur exonération, des efforts soutenus pour rejoindre tous les Juifs et de l’accueil des jeunes hommes réfugiés juifs d’origine allemande qui avaient été internés pendant la guerre au camp de l’Île-aux-noix (Québec). Il offre un enseignement de la Torah mais aussi des programmes séculiers. Sous un même toit, on trouve une yeshivah, une école de jour à temps plein comportant les niveaux primaires et secondaires suivant le programme du conseil scolaire protestant public et une école du soir. Son éducation inclusive, sa volonté de démontrer la compatibilité entre les valeurs juives orthodoxes et la vie moderne canadienne séduisent. Il accueille tout autant des Juifs hassidiques, des Juifs orthodoxes non hassidiques et des Juifs moins religieux. Le Collège ordonne ses premiers rabbins en 1955.
Des témoignages recueillis à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de la yeshivah en 1991 donnent une idée de l’atmosphère qui régnait au 5265 de l’avenue du Parc dans les années 1950. Le rabbin Koppel Bacher (Johannesburg, Afrique du Sud), étudiant à Tomchei Tmimim en 1958, se rappelle ainsi les années qu’il y a passées : « The Yeshiva […] was a melting pot for bochurim who originated in so many different countries; as did the Rabbis who trailed from Russia, Poland, Austria, etc. This characteristic made the Yeshiva fascinating and captured, within its walls, an international unity and character » (2). L’acteur Alexis Kanner, qui lui aussi a étudié au Collège, témoigne de la même atmosphère : « There was energy, magic and mystery in this little Yeshiva on Park Avenue. With just a very few secular afternoon hours its boys always seemed to come in top in the province. These were the years after the terrible war, and before the terrible peace. It was an enchanted time, and no amount of anti-Semitism or abuse could shake our exuberant innocence. » (2)
Le Rabbinical College est reconnu pour avoir joué, après-guerre, un rôle important dans le développement de la communauté juive à Montréal et au Canada. Il a, certes, œuvré à la reconstitution des groupes hassidiques, décimés par l’Holocauste, mais il a aussi participé à un regain du judaïsme dans la communauté juive en générale en encourageant une plus grande méticulosité dans le respect des traditions et la pratique quotidienne du judaïsme (par exemple dans l’observance du Shabbat et l’application des lois diététiques).
(1) « The Yeshivos, Rabbinical Seminaries – The Pride of Montreal Jewry! » (s. d. Congrès juif canadien, boîte 23, Yeshuva Students Maintenance 1941-1946, Archives juives canadiennes Alex Dworkin, Montréal) cité par Adara Goldberg dans Holocaust Survivors in Canada. Exclusion, Inclusion, Transformation, 1947-1955, p. 121.
(2) Brochure éditée par le Rabbinical College of Canada à l’occasion de son cinquantième anniversaire (1991. Archives juives canadiennes Alex Dworkin, Montréal, Série Z)
Indications bibliographiques
Julien Bauer, Les Juifs hassidiques, coll. « Que sais-je? », Paris, Presses universitaire de France, 1994.
Julien Bauer, « Les communautés hassidiques de Montréal », dans Pierre Anctil et Ira Robinson (éd.), Les communautés juives de Montréal. Histoire et enjeux contemporains, Québec, Les éditions du Septentrion, 2010, p. 216-233
Adara Goldberg dans Holocaust Survivors in Canada. Exclusion, Inclusion, Transformation, 1947-1955, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2015
Rabbi Kramer’s Legacy [on trouve sur ce site web l’histoire du Rabbin Leib Kramer, fondateur du Collège, de nombreuses images d’archives sur le Collège lorsqu’il était situé sur l’avenue du Parc ainsi que des témoignages]
[Recherche et rédaction : Christine Richard]