L’artiste et collectionneur Vasilios Billy Mavreas a tenu, de 1998 à 2021, la boutique Monastiraki, boulevard Saint-Laurent, juste au sud de la rue Saint-Viateur. Bien-aimée par de nombreux résidents et résidentes du Mile End, comme par plusieurs Montréalais, sa fermeture a fait l’objet de plusieurs articles, dont celui-ci sur le site de CBC Montreal. Toujours amoureux du quartier, Billy nous présentera une partie de sa collection, amassée au fil de ses promenades dans les rues du Mile End, dimanche 10 mars 2024, 14h00, à la Bibliothèque Mordecai-Richler, 5434 avenue du Parc.
En 2011, Sarah Gilbert avait brossé, dans le cadre de son blogue Mile Endings, ce portrait de Billy Mavreas. Mémoire du Mile End tient une fois de plus à remercier Hélène Faribault pour sa traduction.
Les mains dans ses poches en velours côtelé, Bill Mavreas descend la rue en la balayant du regard hochant la tête de droite à gauche et de haut en bas. Il passe à la loupe le trottoir et ses côtés, les poteaux électriques, les supports à bicyclettes, les panneaux d’arrêt obligatoire, les murs, les boîtes à lettres, à la recherche de changements.
« Les gens ajoutent des choses. Ils accumulent comme des écureuils », dit-il.
« Corazon », dit-il lorsque nous passons devant un graffiti à peine lisible sur le mur d’une ruelle. « C’est un jeune qui a écrit ‟cœur”. Cette personne a besoin d’attention. Voici l’oiseau écouté », affirme-t-il, en pointant un oiseau peint à l’aérosol et à côté, le mot « écouté ». Je suis quelques pas derrière lui, en essayant d’absorber tout ce qu’il voit.
« Je suis un photographe sans appareil photo, dit-il. C’est tout du ramassage, que ce soit dans votre poche ou dans votre tête. »
Billy est caricaturiste, artiste et collectionneur. Émile O’Brien et lui, exploitent Monastiraki – une galerie, un magasin et une collection de collections. Billy s’épanouit en classant les objets. Il déniche des trésors depuis son enfance à Ville-Saint-Laurent, à la recherche de trucs intéressants, comme des balles de métal aplaties qu’il range dans des boîtes.
Billy ramasse aussi de petits objets plats qu’il lamine en plastique : la moitié d’un billet de cinq dollars, une feuille, une photo déchirée, notamment. Le catalogue mental de graffitis, d’art de la rue et des changements qui affectent le quartier représente une nouvelle dimension de son aptitude à collectionner. Nous poursuivons notre chemin. Je sors ici tous les jours, mais quand Billy me montre quelque chose, c’est comme si je n’habitais même pas dans le coin; il y a tant de choses que je n’ai jamais remarquées.
Billy se rappelle le peuplier géant à côté de l’église, sur Saint-Viateur, comme de l’histoire ancienne. Quoi? Quand est-ce arrivé? Il attire mon attention sur la disparition de la vieille enseigne Navarino, la boulangerie sur l’avenue du Parc. J’avais remarqué la nouvelle enseigne (enfin, je pense), mais je n’avais pas réalisé que l’enseigne verticale vintage avec une fille et un gâteau avait disparu. (Elle a été déménagée à l’intérieur sur le mur du fond de la pâtisserie.)
« Il faut porter attention! Même si ça ne coûte rien, affirme Billy. J’ignore pourquoi, mais j’adore vraiment le graffiti ` Afrika Bon Jovy ´. » Maintenant qu’il en parle, je me souviens avoir vu ces mots étranges partout.
L’an dernier, lorsque j’ai voulu en apprendre davantage sur le graffiti « I love you», un de mes préférés des ruelles du Mile End, j’ai d’abord interrogé Billy. Il ignorait qui l’avait fait, mais il a avoué être l’auteur d’une petite créature agitée au bas d’un mur, près du Collège Français. (Elle a maintenant disparu et elle me manque.)
« J’ai toujours été discret, dit Billy en marchant. Je l’ai fait pour les gens qui regardent – là. Celui-là est de moi », dit-il en montrant un soleil dessiné au pochoir sur Bernard, un vestige de son passé.
En devenant propriétaire d’un commerce de quartier, il a compris qu’il ne pouvait plus, en toute conscience, inscrire des choses sur les murs et se mettre en colère contre ceux qui faisaient la même chose. Maintenant, il a à l’œil les inscriptions sur les murs, sans peindre lui-même à l’aérosol, les murs des autres.
Lorsque Billy indique du doigt le gribouillage du corazon et du cœur, les autocollants illustrant une amibe fantôme, les poteaux décorés de ruban adhésif de toutes les couleurs, je les vois enfin.
« J’aime ces pilules », dit-il en parlant d’un autocollant oblong bleu et blanc représentant une gélule. Il en a « récolté » un pour sa collection de papiers éphémères. « Ce que je n’aime pas ce sont les scratchtittis. » Qui aurait cru qu’il existait un mot pour décrire les messages gravés sur les plexiglass des abribus?
Dans la ruelle, Billy s’arrête à côté d’une pile d’ordures et soulève un babillard de liège sur lequel quelqu’un a peint des pois rouges. « Je vais trouver un meilleur endroit pour le mettre, parce qu’il est amusant. » Il tourne alors le coin avec le tableau à pois et le dépose le long du trottoir où il trouvera peut-être un nouveau foyer.
« Je ne fais plus la cueillette systématique d’objets dans la rue. Je me limite. Je ne veux pas devenir un ramasseur compulsif. Ou même une version moins compulsive », dit-il.
C’est une bataille de tous les instants pour celui qui remarque tout.
Près des escaliers menant chez moi, il trouve une pièce de quincaillerie de porte, en métal rouillé, à laquelle il ne peut résister. Il la met dans la poche de sa veste en jean. « Il y a toujours des objets trouvés dans mes poches », confesse-t-il en replaçant deux pions d’un jeu d’échecs pour faire de la place à sa nouvelle acquisition.