Le Lux était un complexe ouvert 24 heures sur 24 – à la fois bar, restaurant, librairie et tabagie – considéré comme un des hauts lieux de la vie nocturne montréalaise branchée dès son ouverture à l’été 1984. Son propriétaire, le docteur Jean-Marie Labrousse, l’un des copropriétaires du restaurant l’Express, avait confié à l’architecte Luc Laporte (1942–2012) le mandat d’aménager les lieux. Résidant du square Saint-Louis, celui-ci a aussi réalisé plusieurs projets remarquables sur le Plateau : la boutique Arthur Quentin et le restaurant l’Express rue Saint-Denis, le restaurant Laloux avenue des Pins et le restaurant de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.
« Le Lux constitue une prouesse en matière de travail sur l’acier. Véritable paquebot, avec ses volées d’escaliers en ellipse et ses balustrades qui faisaient penser à des bastingages, ce petit complexe commercial aura permis aux noctambules d’aller au bout de leurs rêveries », écrit le journaliste Patrice-Hans Perrier dans le blogue Les carnets d’un promeneur. La grande structure en acier traversant les trois étages de l’immeuble se termine par un dôme vitré entouré de miroirs qui, le jour, multiplient les rayons du soleil.
L’édifice du Lux, construit en 1914, avait abrité un magasin de meubles au rez-de-chaussée ainsi que plusieurs manufactures de vêtements. Une école religieuse juive et une synagogue ont aussi brièvement occupé l’étage. Mais avec le départ de la communauté juive vers les banlieues de l’ouest, cette partie du boulevard Saint-Laurent est à l’abandon pendant les années 1970 : une bonne partie des immeubles y sont barricadés et désaffectés. La nouvelle vocation de l’édifice sert de signal à un groupe de promoteurs qui baptisent le secteur « village du milieu ». Ils ouvrent aux alentours du Lux de nombreux bars, boutiques de design et restaurants. Cette partie de la Main, négligée et poussiéreuse, devient alors une destination en elle-même, ce qui contribue à faire redécouvrir le Mile End aux Montréalais comme aux touristes. Le chroniqueur de La Presse, Pierre Foglia, en témoigne (10 janvier 1987) : « Tout le monde reconnaît que c’est le Lux qui a tout déclenché sur la rue Saint-Laurent entre Laurier et Saint-Viateur. Qui a donné le ton aussi. Le ton New York East Side. Le ton nowhere fucké, vieille usine désaffectée. Le ton noir, blanc et gris. On va s’en tanner c’est sûr. Mais en attendant ça nous change des pastels de la rue Saint-Denis. »
Cette transformation ne fait cependant pas l’affaire de tous. Plusieurs résidants des rues voisines se mobilisent, notamment sous l’impulsion du Comité des citoyens du Mile End. Ils s’opposent à la multiplication des commerces chics, craignant de revivre les « désastres » que furent selon eux les transformations des rues Prince-Arthur et Duluth. L’administration Doré du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), arrivée à la mairie en 1986, se rend en partie à leurs demandes, en imposant un moratoire sur les permis pour les nouveaux bars du boulevard Saint-Laurent au nord de l’avenue du Mont-Royal.
Mais c’est surtout la récession du début des années 1990 qui met fin aux rêves des promoteurs. Après quelques années maigres, le Lux ferme définitivement en mars 1996. À la fin de cette décennie, plusieurs journaux montréalais décrivent de nouveau le secteur comme une « zone sinistrée » où tout est à l’abandon. Au même moment, pourtant, des entreprises de technologie, telle la multinationale française Ubisoft, prennent le relais dans les manufactures de vêtements désaffectées des environs. Leur arrivée et celle des milliers de jeunes employés contribueront à une autre des sept vies du boulevard Saint-Laurent. Le Lux abrite entre 1998 et 2021 un studio de postproduction cinématographique, Fly studio.
Le 7 juin 2022, le Musée du Montréal juif annonce qu’il est le nouveau locataire du bâtiment.
Recherche et rédaction : Yves Desjardins et Bernard Vallée.
Extrait du Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal (Écosociété, 2017) avec l’aimable autorisation de l’éditeur