Magasin Le Mont-Royal


Le Mont-Royal, magasin départemental, vers 1912 / BAnQ, IRIS 0002633309

Le Mont-Royal, magasin départemental, vers 1912 / BAnQ

Le Mont-Royal fut, au début du 20e siècle, le grand magasin du nord de la ville. Situé au coin nord-ouest du boulevard St-Laurent et de l’avenue du Mont-Royal Ouest, il a été pendant 25 ans le « magasin départemental » du quartier. L’histoire des propriétaires de ce bâtiment permet de faire la connaissance de personnages influents de l’histoire de Montréal tels que Trefflé Berthiaume (1848–1915) et Joseph Osias Gareau (1863–1935). Le récit des locataires nous offre, quant à lui, un instantané de la transformation de l’économie du quartier.

Pendant plus d’un siècle, le terrain sur lequel se trouve aujourd’hui le 1 à 27 avenue du Mont-Royal Ouest appartient à la famille Clark–Bagg. En mars 1905, Trefflé Berthiaume, ancien (et futur) propriétaire du journal La Presse, en fait l’acquisition. En 1906, il y fait construire un bâtiment de 3 étages qui occupe la tête d’îlot au complet, du boulevard Saint-Laurent à la rue Clark. À l’époque où plusieurs grand magasins sont déjà bien établis, notamment sur la rue Sainte-Catherine à Montréal, la ville de Saint-Louis a, elle aussi, son magasin à rayons : Le Mont-Royal, et les premiers à le diriger sont Vanier et Lesage, marchands du quartier voisin de Saint-Jean-Baptiste. Malheureusement, ils ciblent une clientèle trop haut de gamme pour Saint-Louis, et doivent fermer le magasin moins de trois ans plus tard.

C’est sous la direction de Joseph Osias Gareau que le magasin connaît ses heures de gloire. En 1909, le journal La Patrie dit de ce dernier qu’il « possède un magasin [Le Mont-Royal] digne de ses hautes aptitudes commerciales ». Brièvement propriétaire de la maison Fecteau à l’intersection de Saint-Laurent et Fairmount, il a été élu à deux reprises président de la Société des marchands-détailleurs de nouveautés de la province de Québec et a été conseiller à la Chambre de commerce du district de Montréal. Cet homme d’affaires se lance donc dans la grande aventure du magasin à rayons Le Mont-Royal avec un certain bagage. En outre, J. O. Gareau est l’un des associés de la compagnie E.T. Corset, entreprise prospère de Saint-Hyacinthe œuvrant dans la fabrication de corsets. C’est une compagnie d’envergure au même titre que les confitures Raymond ou la fabrique d’orgues Casavant. D’ailleurs, certaines représentations d’époque du magasin Le Mont-Royal montrent bien l’enseigne de la compagnie maskoutaine que Gareau fait installer sur le coin de l’édifice.

En mai 1910, Gareau, qui loue et dirige le magasin Le Mont-Royal depuis un an, achète l’immeuble pour 100 000 $ d’un agent immobilier qui venait juste de le reprendre de Trefflé Berthiaume. Berthiaume vit une situation financière difficile suite à la vente de parts du journal et à la saisie d’une usine de papier dont il est actionnaire: la Saint-Raymond Paper. Durant cette période, il vend également plusieurs immeubles. Toutefois en 1913, la situation financière de Berthiaume s’améliore et il rachète toutes les parts de La Presse, redevenant ainsi l’unique propriétaire du plus grand quotidien francophone de l’époque.

En 1913, le chiffre d’affaires du magasin atteint 350 000 $ et on y emploie 75 personnes. Le bâtiment, pour sa part, est évalué à 500 000 $. En trois ans, Gareau a quintuplé son investissement en plus d’avoir fait du Mont-Royal un magasin rentable. De surcroît, son arrivée comme propriétaire entraîne une augmentation et une diversification des locataires. À l’angle de la rue Clark et de l’avenue du Mont-Royal, un pharmacien, une polyclinique et un épicier se côtoient au rez-de-chaussée. Malgré cette transformation, le magasin conserve ses deux entrées, soit le 1 avenue du Mont-Royal Ouest et le 1502 boulevard Saint-Laurent. Le bijoutier J. Omer Roy s’occupe du rayon bijouterie entre 1919 et 1923.

En 1921, la Banque Royale du Canada ouvre une succursale bancaire à l’adresse 1 avenue du Mont-Royal Ouest, dans de la partie de l’édifice formant le coin du boulevard Saint-Laurent, qu’elle achète de Gareau à cette fin. Cette partie de l’édifice représente un local de prestige lisible dans l’architecture. La façade des deux premiers étages est rythmée par des pilastres ornés de chapiteaux sculptés. Les pierres de taille qui les composent font contraste à la brique rouge que revêt le reste du bâtiment dont le troisième étage et le mur de la rue Clark. La banque occupe ce local jusque dans les années 1980. Ce sera le plus fidèle des occupants.

La gestion du magasin à rayons est transférée à l’entrepreneur juif Meyer Poyaner à partir d’août 1923. Comme en témoignent plusieurs articles parus dans The Canadian Jewish Chronicle, le passage du flambeau ne passera pas sous silence dans la communauté juive. Poyaner, cependant, ne connaitra pas de succès durable. En novembre 1927, on annonce « réorganisation – nouveaux propriétaires » (c’est en fait un gendre de Poyaner, Louis Wexler, qui prend le relais). Wexler tentera une dernière fois en 1929 de relancer le grand magasin, mais il doit s’avouer vaincu après deux ans. Le Mont-Royal ferme définitivement en 1931. C’est sûrement la crise économique de l’époque qui a sonné le glas pour le grand magasin du nord.

En 1926 et 1927, Gareau vend les autres parties (à part la banque) de l’édifice à des investisseurs en immobilier, dont Wexler. Parmi les locataires, on trouve des manufactures comme la Klein Manufacturing Company et la John W. Peck & Co. Jusque dans les années 1980, les étages seront occupés par des manufactures.

Suite à des transformations majeures après la Deuxième Guerre mondiale, le bâtiment porte bien peu d’éléments d’origine. La bordure du toit, jadis très ornementée, est désormais rectiligne et recouverte d’un solin de métal des plus conventionnels. Les ouvertures des fenêtres ont été élargies aux étages supérieurs. Le revêtement de briques et de pierres de l’époque a été complètement remplacé; il reste peu de traces des pilastres qui rythmaient la façade. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que le rez-de-chaussée fût un jour le grand magasin du nord de la ville.

En ce moment (2016), l’entreprise de gestion immobilière Les développements Iberville Limitée (Les placements Jeton bleu) est le propriétaire de l’immeuble. Les locaux sont occupés notamment par des restaurateurs au rez-de-chaussée et des bureaux aux étages; on y trouve le CLSC Saint-Louis-du-Parc depuis 2007.


Recherche et rédaction : Valérie Wagner, Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, UQAM
Révision : Justin Bur et Christine Richard, 2016 – Justin Bur, 2024

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