Palais de cristal – Terrain des expositions


Gravure d’Eugene Haberer. La passerelle qui enjambait l’avenue du Mont-Royal est visible en haut à droite. Le Palais de cristal se trouve au fond à gauche. Son emplacement était entre les actuelles rue Jeanne-Mance et avenue de l’Esplanade, juste au sud du boulevard Saint-Joseph. [L’opinion publique, 29 septembre 1881, Archives de la Ville de Montréal]

Difficile de croire aujourd’hui, lorsqu’on se promène le long de l’avenue du Parc au nord de l’avenue du Mont-Royal, que les terrains du côté est furent pendant près de 30 ans le site d’une exposition agricole. Ou encore, qu’un énorme pavillon vitré – le Palais de cristal de Montréal – y trônait de 1878 à 1896 !

En 1870, un des plus grands propriétaires fonciers du Mile End, Louis Beaubien, siège au Conseil d’agriculture du Québec, créé en 1851 pour moderniser les techniques des cultivateurs de la province. Il convainc le Conseil d’acheter des terres appartenant aux Religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu, situées au Mile End, afin d’en faire le site permanent d’une exposition provinciale agricole et industrielle annuelle.

Des expositions de ce genre se tiennent dans différentes villes de la province, à intervalles irréguliers, depuis le début des années 1850. Mais elles sont organisées par des groupes rivaux, en concurrence les uns avec les autres. L’ambition de Louis Beaubien est de mettre fin à ces rivalités et d’organiser une exposition unifiée. Un concours provincial est inauguré « sur les vastes terrains du parc agricole, avenue Mont-Royal au Mile End », le 13 septembre 1870. Mais le choix de tenir l’exposition au Mile End ne fait pas l’unanimité, même au Conseil d’agriculture, dont certains membres privilégient plutôt l’achat d’un terrain rue Sherbrooke. Le terrain est donc laissé plus ou moins à l’abandon jusqu’en 1875, année où le Conseil reçoit une subvention provinciale à la condition d’y ériger des bâtiments permanents. Des travaux sont entrepris l’année suivante et une exposition exclusivement agricole se tient au Mile End en septembre 1876, au milieu de bâtiments toujours en construction.

En 1878, on décide d’y déménager le palais de cristal qui se trouve alors rue Sainte-Catherine Ouest. Inspiré de celui de l’Exposition universelle de 1851 à Londres, ce palais de verre avait été érigé en 1860 pour accueillir une exposition inaugurée par le prince de Galles lors de sa visite à Montréal. Sur son nouveau site, le palais hébergera les expositions industrielles qui s’ajouteront au volet agricole de l’événement. Le terrain de l’exposition est agrandi – son périmètre suit l’actuelle avenue du Parc, le boulevard Saint-Joseph, la rue Saint-Urbain et l’avenue du Mont-Royal. Après deux ans de travaux, la première édition de la nouvelle Exposition agricole et industrielle unifiée ouvre ses portes en 1880. Elle se veut la plus grandiose que le Québec ait connue jusqu’alors : il ne s’agit plus seulement de décerner des prix aux meilleurs bêtes et produits agricoles, mais d’un événement d’envergure qui célèbre également les dernières prouesses de la révolution industrielle, le tout accompagné de fêtes et de divertissements. Une passerelle est construite au-dessus de l’avenue du Mont-Royal pour permettre aux visiteurs de se déplacer entre la partie nord de l’exposition, où se trouvent le palais de cristal et les pavillons des animaux, et la partie sud, située dans l’actuel parc Jeanne-Mance, où on aménage une piste de courses de chevaux.

De plus, une véritable foire populaire se tient à proximité, le long de l’avenue du Mont-Royal, du boulevard Saint-Laurent jusqu’à l’entrée de l’exposition, ce qui ne fait pas l’affaire des bien-pensants. Un journaliste décrit « la ville de tentes («canvas city») qui y a poussé, avec ses buvettes et ses jeux de hasard, accompagnés des habituelles monstruosités comme les veaux qui ont deux têtes et les poules qui n’en ont pas. »

Affiche pour l’Exposition à portée pan-canadienne de 1884 [BAnQ]

On l’appelle également « Exposition de la Puissance », lorsque le gouvernement fédéral la subventionne, comme en 1884 (la Puissance du Canada étant la traduction française originale de Dominion of Canada, le terme utilisé pour décrire le pays après la Confédération de 1867).

Malgré ces efforts, l’exposition peine à couvrir ses frais. Alors que l’édition de 1880 attire 100 000 visiteurs, celle de 1884 n’en attire plus que 50 000. On blâme le coût d’entrée élevé et l’accès difficile, en raison de l’éloignement du centre-ville et du manque de transport en commun. L’épidémie de variole qui frappe Montréal en 1885 porte un autre coup dur à l’événement : non seulement l’exposition est annulée, mais ses bâtiments sont transformés en hôpital temporaire. Un accord est finalement conclu en 1890 pour relancer l’exposition avec une compagnie privée. Le gouvernement du Québec accorde à celle-ci une subvention de 25 000 $ et lui loue les terrains pour 18 ans, en échange d’un loyer symbolique de 1 $. L’exposition reprend à la fin de septembre 1891, mais avec un succès mitigé.

Un incendie dans la nuit du 30 juillet 1896 inflige un autre sérieux revers à la relance de l’exposition. Un vent fort souffle cette nuit-là et les flammes détruisent presque tous les bâtiments, dont le palais de cristal. Une exposition a quand même lieu dans des bâtiments temporaires au mois de septembre, et une autre en 1897, mais le public ne suit plus. Le décès soudain du gérant S.C. Stevenson, qui était l’âme dirigeante de l’exposition, le 2 janvier 1898, porte le coup de grâce. La Compagnie de l’Exposition provinciale est alors liquidée. La Ville de Montréal, propriétaire des terrains au sud de l’avenue du Mont-Royal, y aménage ce qui est aujourd’hui le parc Jeanne-Mance. Mais, du côté nord, les négociations entre le gouvernement du Québec, propriétaire des terrains, la Ville de Saint-Louis et les créanciers seront longues et complexes. Pendant cet intermède, les terrains vacants accueillent différents cirques ambulants, dont le fameux Barnum and Bailey Circus. Pour cette raison, l’urbanisation du sud-ouest du Mile End ne commencera qu’aux environs de 1902. Mais avec la croissance fulgurante du secteur, tout ira très vite : en 1909, il ne reste plus un seul lot vacant sur les anciens terrains de l’exposition.


Recherche et rédaction : Yves Desjardins. Révision : Justin Bur.

Dictionnaire historique du Plateau Mont-RoyalExtrait du Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal (Écosociété, 2017) avec l’aimable autorisation de l’éditeur