École Edward VII / École de l’Étincelle


École Edward VII, Montreal Star, 8 février 1913

École Edward VII, Montreal Star, 8 février 1913 [BAnQ]

Figure discrète parmi les bâtiments du quartier, l’école située au 6080 avenue de l’Esplanade est néanmoins un élément important du patrimoine bâti de Montréal. Construite en 1912, elle porte à l’origine le nom d’Edward VII et fait partie du réseau scolaire protestant.

Edward VII (1841-1910), fils et successeur de la reine Victoria, a régné sur l’Empire britannique de 1901 à 1910. En 1860, il avait visité le Canada, faisant de lui le premier prince héritier à avoir traversé l’Atlantique. Au moment de la construction de l’école nommée en son honneur il était mort depuis deux ans.

L’école Edward VII a été conçue par la firme d’architectes montréalais Nobbs & Hyde. Percy Nobbs (1875-1964) est fortement associé à l’université McGill, où il a longtemps enseigné l’architecture en plus de concevoir plusieurs édifices du campus. Né en Écosse, il complète son éducation primaire en Russie alors que sa famille y vit pour un temps et suit ses premières classes en art pendant son enfance à Saint-Pétersbourg. De retour dans son pays natal il y poursuit des études en design et en arts appliqués. Par sa formation et ses convictions, Nobbs appartient au mouvement Arts & Crafts, insistant sur la sobriété et la qualité artisanale dans la décoration. Il est invité à Montréal en 1903 pour diriger l’école d’architecture de l’université McGill. À son entrée en poste, le programme ne comptait que deux étudiants. Il a contribué à remodeler le programme et a engagé de nouveaux professeurs. Il a assumé la direction de l’école jusqu’en 1913.

En 1910, Nobbs s’associe à George Taylor Hyde (1879-1944), l’un des premiers architectes diplômés de McGill en 1899 qui a prolongé ses études au Massachusetts Institute of Technology. Leur association dure jusqu’au décès de Hyde en 1944. En plus des projets sur le campus de McGill, la firme a conçu en 1914-15 divers bâtiments de l’université de l’Alberta. Elle a construit de nombreuses maisons à Westmount, dont celle de Nobbs lui-même. La firme a reçu quelques commandes d’édifices commerciaux, dont la construction à Montréal des ateliers et bureaux de Henry Birks & Sons en 1911–12, agrandis en 1926 (rue Cathcart, côté sud, en face du célèbre magasin).

Nobbs & Hyde ont réalisé de nombreux projets pour la commission scolaire protestante montréalaise au début des années 1910, notamment l’agrandissement en 1911 de la Fairmount Public School située également avenue de l’Esplanade dans le Mile End et la construction en 1913 de la Strathearn Public School, rue Jeanne-Mance près de l’avenue des Pins. Ces écoles voient le jour dans le contexte d’une augmentation rapide de la population montréalaise, que ce soit par la migration interne ou par l’immigration.

La commission scolaire avait une nouvelle préoccupation pour la sécurité incendie, depuis un incendie mortel survenu à sa Hochelaga School en 1907; les vieilles écoles comportaient trop d’éléments en bois, notamment les cages d’escaliers, ce qui les rendait vulnérables aux incendies et menaçait l’évacuation des enfants. Le programme éducatif apportait aussi son lot de spécifications : le nombre et les dimensions des salles de classes, du gymnase, des espaces de recréation et de rassemblement suivaient des normes définies par la commission scolaire. Par conséquent, Nobbs & Hyde avaient peu de marge de manœuvre dans la conception de l’école Edward VII.

Edward VII offre un enseignement primaire et, à ses débuts, elle compte 27 classes et un gymnase disposés sur 3 étages. Un nouvel étage est ajouté en 1914, toujours sous la supervision de Nobbs & Hyde. À ce moment l’école comprend un gymnase, 33 classes et vestiaires, 2 maternelles (kindergarten) ainsi que des ateliers consacrés aux arts industriels (Sloyd) et domestiques. On ajoute encore plus de classes vers la fin des années 1910, à l’instar d’autres écoles protestantes de Montréal autour de la même période.

Si l’on retient le témoignage d’une personne ayant fréquenté une autre école protestante de 1924 à 1933, les classes sont mixtes mais les filles et les garçons entrent dans l’école par des entrées séparées[1]. Les aires de récréation sont également séparées ainsi que les cours d’éducation physique (les garçons et les filles utilisent le gymnase à des moments différents). À l’école Edward VII, l’aire de jeux, l’entrée et le vestiaire des filles étaient du côté sud, ceux des garçons du côté nord de l’édifice.

Edward VII possède un rez-de-chaussée de plain-pied avec la rue, comme les autres écoles protestantes, à la différence des écoles catholiques de son époque auxquelles on accède par un escalier extérieur. Un vestibule intérieur précède des portes qui donnent sur le corridor du rez-de-chaussée. Sur la gauche, on retrouve les bureaux du secrétariat et de la direction et sur la droite un escalier tournant donne accès aux étages. Les murs extérieurs sont faits de brique rouge. De nombreux motifs viennent rythmer l’agencement des briques. La fondation en béton occupe la partie inférieure aux fenêtres du rez-de-chaussée.

Les armoiries royales, avec la licorne écossaise à gauche et le lion anglais à droite

Les armoiries royales, avec la licorne écossaise à gauche et le lion anglais à droite [photo Rachel Boisclair 2019]

Au-dessus de l’entrée principale (à l’usage des professeurs et des visiteurs, pas des élèves), située au centre de la façade principale, un panneau décoratif représente les armoiries royales du Royaume-Uni, en l’honneur d’Edward VII. Il est intéressant de noter que le blason est accompagné des supports disposés à la manière écossaise, la licorne écossaise à gauche et le lion anglais à droite. Sous les armoiries se trouvent les symboles floraux de l’Angleterre (la rose), de l’Écosse (le chardon), de l’Irlande (le trèfle), de la France (le lys), et du Canada (la feuille d’érable).

Les dessins architecturaux de la façade principale montrent aussi un panneau affichant le nom de l’école (en anglais) avec une image d’un garçon à gauche et d’une fille à droite. Ce panneau a disparu de la façade, peut-être vers 1980 au moment où le nom de l’école a été inscrit dans les deux langues.

Tous les plans de Nobbs & Hyde, en passant par les plans des bas-reliefs qui ornent la façade, les plans des modifications et des agrandissements de 1914 jusqu’aux plans de la plomberie et de l’électricité ont été conservés dans le fonds Percy Nobbs de la Collection d’architecture canadienne aux archives de l’université McGill.

Le nord du Mile End est un nouveau quartier résidentiel dans les années 1910 et 1920 avec une population mixte. Tandis que la paroisse de Saint-Georges ouvre des écoles tout près pour les enfants francophones catholiques en 1909 et 1910, l’école Edward VII reçoit les enfants anglophones, surtout protestants. D’autres communautés non catholiques enverront aussi leurs enfants à l’école protestante jusqu’à l’abolition du système confessionnel en 1998.

La population d’Edward VII est surtout anglo-protestante à ses débuts, avec une importante minorité juive entre les deux guerres[2]. Contrairement à l’école Fairmount, Edward VII n’aura jamais une majorité juive. Dans les années 1960, avec l’exode vers les nouvelles banlieues, le nombre d’élèves d’origine anglo-protestante et juive diminue fortement et le Mile End devient un quartier de nouveaux immigrants. Si les élèves d’origine italienne et portugaise ont plus tendance à fréquenter l’école catholique, l’école protestante est préférée par les familles grecques de confession orthodoxe.

Au début des années 1960, l’école Edward VII dispose de locaux inoccupés que la commission scolaire protestante accepte de louer à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) de 1964 à 1967. Cette entente de location prend fin en 1968, car l’augmentation de la population immigrante dans le secteur nécessite la reprise des classes en question : «The past eight months [de mai à décembre 1967] have seen a remarkable influx of New Canadian pupils into that area bordering both sides of Park Avenue and extending northwards from Mount Royal Avenue through Park Extension. As a result, the enrolment in Edward VII School continues to increase spectacularly»[3]. L’école fait l’objet de nouveaux agrandissements en 1960 et en 1974.

Parc-école Édouard-VII

Parc-école Édouard-VII [photo Rachel Boisclair 2019]

Pendant les années 1970, le manque d’espaces de jeux pour les enfants et la circulation automobile autour de l’école deviennent des enjeux dans le quartier. Le YMCA de l’avenue du Parc offre pendant cette période des cours et ateliers pour les familles nouvellement arrivées au Canada, les parents comme les enfants. Leur programme récréatif pour enfants utilise le gymnase de l’école Edward VII; selon les organisateurs, si ce n’était pas pour cela, les enfants seraient obligés de s’amuser dans les ruelles – qui à l’époque étaient peu salubres[4]. En 1973, un comité de citoyens de l’avenue de l’Esplanade, principalement constitué de parents de l’école, fait campagne pour que la Ville de Montréal ajoute des aires de jeux dans le quartier, en raison des nombreux accidents impliquant des enfants qui n’avaient d’autres choix que de jouer dans la rue ou de marcher un kilomètre pour avoir accès au parc le plus proche[5]. Finalement, un partenariat est établi entre la commission scolaire et la Ville : la commission scolaire a acheté les terrains vagues au nord de l’école sur lesquels la Ville a aménagé une aire de jeu, le parc-école Édouard VII. Le terrain de l’école ainsi que son gymnase et d’autres locaux du rez-de-chaussée sont mis à la disposition de la Ville pour l’usage des citoyens après la fin de la journée scolaire.

La langue d’enseignement devient un enjeu important au Québec pendant cette période. La question est décidée en 1978 avec l’adoption de la Charte de la langue française (Loi 101), qui restreint l’accès à l’éducation primaire en anglais aux élèves dont un parent a fréquenté l’école anglaise au Québec[6]. À l’avenir, peu d’élèves du quartier autour d’Edward VII auront le droit d’étudier en anglais. L’école va donc dès 1979 se doter d’un secteur francophone pour devenir entièrement francophone en 1985, toujours dans le réseau protestant. L’école prendra alors le nom francisé d’Édouard VII.

Avec la déconfessionnalisation des commissions scolaires en 1998, Édouard VII sera transférée à la Commission scolaire de Montréal (CSDM; francophone). Partageant désormais la même clientèle que l’ancienne école catholique francophone Lambert-Closse, avec une population d’âge scolaire toujours en déclin, Édouard VII devient superflue. En 2002, la CSDM réaffecte l’édifice à une école spécialisée pour les enfants souffrant de troubles du spectre de l’autisme[7]. Elle prend le nom d’école de l’Étincelle et accueille alors 70 enfants.

L’Étincelle procédera elle aussi à divers travaux. Des aménagements ont été entrepris à l’intérieur et des travaux plus récents ont été effectués sur les revêtements de briques près du toit. Les terrains autour de l’école, autrefois assez peu aménagés, sont aujourd’hui occupés par de nombreux arbres matures qui procurent de l’ombre et un environnement un peu plus paisible. Plusieurs aires de jeux séparées les unes des autres ont été conçus avec différents modules et une murale vient égayer les murs extérieurs de l’ancien entrepôt de charbon.

Dans le hall d’entrée, une œuvre évolutive prend la forme du profil de la tête d’un petit garçon, en verre acrylique. Cette grande plaque protège les photographies des élèves de l’école de l’Étincelle et supporte le logo de l’autisme : trois pièces de casse-tête assemblées et une quatrième qui se détache d’elles. L’œuvre a été conçue pour que l’on puisse changer périodiquement les portraits des enfants, des enseignants et du personnel de l’école. Cette mosaïque de portraits d’enfants offre à la fois une image de continuité puisqu’elle arbore toujours la même forme, et une image changeante où les élèves peuvent éventuellement se reconnaître.

En 2018-19 l’école de l’Étincelle compte 125 élèves âgés de 4 à 12 ans.


Recherche et rédaction : Rachel Boisclair, Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, UQAM
Recherche et rédaction supplémentaires : Justin Bur, Mémoire du Mile End; Michelle Comeau, UQAM

logo-uqam-lhpm-petit


Notes

[1] Robert Cadotte et Anick Meunier, L’école d’antan (1860-1960). Découvrir et se souvenir de l’école du Québec, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2011, p. 24 et 108.  Il s’agit de l’école Maisonneuve, rue Létourneux. Les classes mixtes vont se multiplier à la CECM seulement dans les années 1950.

[2] Louis Rosenberg, A study of the growth and changes in the distribution of the Jewish population of Montreal, Canadian Jewish Congress, 1955. https://www.bjpa.org/search-results/publication/18153

[3] Correspondance du 8 janvier 1968 entre M. de Grandmont de la CECM et M. Japp de la PSBGM, Archives du Conseil de services scolaires de Montréal.

[4] « Where will 1000 city youngsters be playing this summer? », The Gazette, 22 mai 1970, p. 19.

[5] Renée Rowan, « Les familles de la rue Esplanade exigent un parc pour leurs enfants », Le Devoir, Montréal, jeudi 26 juillet 1973 et 17 août 1973, Dossier de rue, service des archives de la Ville de Montréal, VM166-1-2-R4059-A.

[6] La loi a été modifiée en 1984 (après une contestation en vertu de la nouvelle Charte canadienne des droits et libertés, adoptée 1982) pour élargir l’accès aux enfants dont un parent avait fréquenté l’école anglaise n’importe où au Canada.

[7] Lisa-Marie Gervais, « Une étincelle pour allumer des enfants pas comme les autres », Le Devoir, 28 août 2009 et site web de l’école.


Sources principales

Robert G. Hill, « Nobbs, Percy Erskine », Biographical Dictionary of Architects in Canada, 1800-1950

Norbert Schoenauer, History [of the School of Architecture, McGill University]: Legacy of Nobbs [vers 1990]

« Three Montreal School Buildings », Nobbs & Hyde Architects, Construction, vol. 6, décembre 1913, p. 455–461

E. B. Palmer, « Typical Schools of the Province of Quebec », Journal of the Royal Architectural Institute of Canada, septembre 1927, p. 327–338.

Isabelle Bouchard, Gabriel Malo, Inventaire préliminaire des bâtiments patrimoniaux de la CSDM, Édouard VII, 2001

Roderick MacLeod et Mary Anne Poutanen, A Meeting of the People : School Boards and Protestant Communities in Quebec, 1801–1998, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2004