Hebrew Educational Institute – United Talmud Torahs


Le 31 mai 1931, un imposant édifice de trois étages est inauguré au 269 boulevard Saint-Joseph Ouest, coin nord-ouest de la rue Jeanne-Mance. Plusieurs milliers de personnes assistent à la cérémonie d’ouverture du Hebrew Educational Institute, dont la construction était planifiée depuis plus de dix ans. Son ouverture a valeur de symbole, puisque le quartier constitue alors le cœur de la vie juive montréalaise. Pour y arriver, il a fallu faire appel à de nombreuses levées fonds auprès de la communauté et à des dons des familles les plus riches, notamment les Bronfman. Au cours des décennies suivantes, l’édifice servira de quartier général aux écoles religieuses orthodoxes juives montréalaises – les United Talmud Torahs – mais aussi de centre communautaire et culturel. De nombreux rassemblements politiques et des spectacles s’y dérouleront.

Avec la migration de la communauté juive vers les banlieues de l’ouest de l’île, pendant les années 1950, l’édifice du Mile End est vendu en 1960 à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CÉCM), qui y installe l’école primaire anglophone Nazareth. Les enfants des immigrants italiens et portugais remplacent ceux des immigrants juifs. L’édifice est démoli en 1972, lorsque la CÉCM construit une nouvelle école juste à côté, rue Jeanne-Mance et avenue Laurier Ouest. L’emplacement de la Talmud Torah devient un stationnement, ce qu’il est toujours.


United Talmud Torah, années 1930. Archives juives canadiennes, 42737

La première Talmud Torah est créée en 1896 par la congrégation B’nai Jacob, à l’époque où le quartier juif montréalais se trouvait au centre-ville. L’augmentation rapide de la population juive et sa migration vers le nord de la ville entraîne la création de plusieurs autres Talmud Torahs dans les nouveaux quartiers : notamment Amherst Park (avenue Papineau) et Mile End (Poale Zedek – Saint-Urbain et Jean-Talon). La plus importante était Anshe S’fard, située rue Milton, juste à l’ouest du boulevard Saint-Laurent.

En 1917, à la suite d’une campagne menée par le journaliste Hirsh Wolofsky, éditeur du quotidien juif Keneder Odler, et le millionnaire philanthrope Mortimer B. Davis, les écoles hébraïques se regroupent dans les « United Talmud Torahs ». Lors de l’assemblée annuelle de 1919, il est décidé d’ouvrir une nouvelle école dans le « North End », nom alors donné à l’ancien territoire de Ville Saint-Louis. La « Bialik Hebrew School » (du nom d’un poète juif) loue d’abord des locaux boulevard Saint-Laurent, au nord de l’avenue Fairmount, pour ensuite déménager en 1923 au 5328 rue Jeanne-Mance, une résidence située entre Fairmount et Saint-Viateur. Une Yeshiva (école religieuse pour les adolescents) est également créée rue Henri-Julien. Dès 1919, Wolofsky appelle à la construction d’un édifice moderne qui servirait en même temps de centre communautaire pour l’ensemble de la communauté. Selon lui, un enseignement religieux modernisé est essentiel au maintien de l’identité juive. Il se démarque ainsi des écoles juives socialistes et laïques comme l’école Peretz, les Jewish People’s Schools (Yidishe Folks Shuln) et la communiste Winchevsky qui s’installent sur le Plateau Mont-Royal pendant la même période. Wolofsky relance sa campagne en octobre 1927, en convoquant une assemblée des principaux dirigeants de la communauté juive qui décident de faire une levée de fonds.

L'école Bialik, lorsqu'elle se situait au 5328 rue Jeanne-Mance, vers 1926-1927. Archives juives canadiennes, P95-17A.

L’école Bialik, lorsqu’elle se situait au 5328 rue Jeanne-Mance, vers 1926-1927. Archives juives canadiennes, P95-17A.

La congrégation B’nai Jacob est le fer de lance de cette nouvelle campagne. Lors d’une seule assemblée à la synagogue de l’avenue Fairmount, 15 000 $ sont réunis. La somme totale obtenue, 50 000 $, permet l’achat d’un terrain situé à proximité, boulevard Saint-Joseph au coin nord-ouest de la rue Jeanne-Mance. Mais des difficultés, liées notamment à d’autres levées de fonds simultanées, comme celle pour la construction de l’hôpital général juif, mettent encore fois le projet en veilleuse. Il est relancé en 1930 par le millionnaire-philanthrope Lyon Cohen (grand-père du chanteur Leonard Cohen). Ce dernier fait appel à des dons de ses riches amis, tels les Bronfman, et une nouvelle somme de 50 000 $ est récoltée pour construire l’édifice. Le Hebrew Educational Institute est inauguré le 31 mai 1931, au cours d’une grande cérémonie à laquelle assistent des milliers de personnes. Mais les débuts ne sont pas faciles, car on est alors en pleine crise économique et l’école est grevée d’une lourde dette hypothécaire ainsi que par un déficit d’exploitation croissant. La crise atteint son paroxysme en janvier 1933, lorsque les professeurs, qui n’ont pas été payés depuis six mois, déclenchent la grève. La direction des Talmud Torahs se dit incapable de répondre à leurs revendications : 700 des 1 412 élèves qui fréquentent les écoles ne payent pas de frais de scolarité, car leurs parents sont au chômage. La crise conduira à un nouvel épisode des « Kosher Meat Wars », provoquée par la décision du Conseil communautaire juif de prélever une taxe sur la viande kasher pour financer les écoles juives. Elle ne se résorbera qu’à la fin des années 1930, grâce à des dons de la famille Bronfman et à la reprise de l’activité économique.

Pendant plus de vingt ans, l’édifice du boulevard Saint-Joseph servira non seulement d’école, mais sera l’un des principaux centres communautaires de la communauté juive montréalaise : assemblées politiques, concerts et soirées de gala s’y multiplient. Mais il n’échappe pas à la migration de la communauté juive vers les nouvelles banlieues de l’ouest, après la Seconde Guerre mondiale. Un nouveau centre des United Talmud Torahs est construit, rue Saint-Kevin à Snowdon, en 1959. L’édifice du Mile End est vendu en juin 1960 à la Commission des écoles catholiques de Montréal, qui y installe l’école primaire anglophone Nazareth. Lorsque l’école Nazareth déménage en 1973 dans un édifice neuf situé juste à côté, rue Jeanne-Mance, l’immeuble original des Talmud Torah est démoli et remplacé par un stationnement. Depuis la fermeture de l’école Nazareth, en 2002, des collèges privés occupent les lieux. C’est aujourd’hui le site d’une école secondaire pour filles de la communauté hassidique Belz.

[Recherche et rédaction : Yves Desjardins]