L’imprimerie Ronalds


6300-6306 avenue du Parc

L’édifice construit en 1928 entre la voie ferrée du Canadien Pacifique et la rue Beaubien, du côté ouest de l’avenue du Parc, et agrandi à plusieurs reprises par la suite, témoigne de l’importance économique de l’industrie de l’imprimerie au XXe siècle. Sa reconversion en pôle d’emploi pour les secteurs créatifs et multimédia, au cours des années 2000, est également représentative des transformations de l’ancien secteur industriel situé aux abords de la voie ferrée, là où se rencontrent les arrondissements d’Outremont, du Plateau-Mont-Royal et de Rosemont–La Petite-Patrie.

L’édifice Ronalds, situé à droite du côté sud-ouest de l’intersection entre l’avenue du Parc et la rue Beaubien, 10 novembre 1939. On aperçoit en arrière-plan, de gauche à droite, l’édifice Bovril, le pont ferroviaire du Canadien Pacifique et l’immeuble de la compagnie Standard Paper Box, démoli en 2015. Archives de la Ville de Montréal, VM166-R086-2-5711-8989_025.

L’édifice Ronalds doit son nom à Charles Corbett Ronalds (1885-1948), un imprimeur américain qui émigre à Montréal en 1910[1]. D’abord gérant de l’imprimerie commerciale du Montreal Herald, il se lance à son compte en 1919, lorsqu’il fonde la Ronalds Press & Advertising Agency (dont le nom est changé pour Ronalds Press Ltd en avril 1923 puis Ronalds Company Ltd en avril 1924). Le succès est au rendez-vous, puisqu’en 1928, l’entreprise quitte ses locaux de la rue William[2], dans Griffintown, pour s’installer dans son propre édifice, avenue du Parc. L’ouverture, en 1915, d’un passage inférieur sous la voie ferrée a désenclavé le tronçon de l’avenue situé du côté nord et favorisé le développement d’une zone industrielle. L’usine bénéficie à la fois d’un quai privé pour la livraison et l’expédition par chemin de fer, et d’un accès routier facilité.

Évolution de l’édifice Ronalds [cartographie Justin Bur 2024 / base: Bing Aerial]

L’édifice est construit en trois phases entre 1927 et 1957. La première partie est conçue par William H. Wardwell, un ingénieur spécialisé en structures industrielles. Elle est considérée comme typique de l’architecture industrielle de la fin des années 1920, en raison de l’utilisation de la brique (brune), de la symétrie de la façade, et d’éléments de décor tels une fausse loggia et une marquise[3]. L’enveloppe extérieure du bâtiment original a subi peu de modifications depuis sa construction.

La deuxième phase de construction, entre 1945 et 1948, inclut deux agrandissements importants du côté ouest le long de la voie ferrée, confiés à la firme d’architectes Ross & MacDonald et sa successeure Ross, Patterson, Townsend & Heughan. Ces nouvelles ailes, initialement d’un seul étage en brique rouge, augmentent la superficie des bureaux et des ateliers d’imprimerie et la longueur du quai ferroviaire, s’étendant jusqu’à la rue Hutchison à l’ouest et à la rue Beaubien au nord.

La phase finale est confiée au cabinet d’ingénieurs T. Pringle & Son (Percy Booth, architecte) en 1956–1957. On ajoute initialement un étage aux bâtiments des années 1940, ensuite deux autres étages, et finalement une tour à bureaux de 6 étages à l’angle de la rue Beaubien et de l’avenue du Parc. Cet agrandissement majeur survient peu après la fusion en décembre 1955 avec un autre imprimeur montréalais, la Federated Press Ltd., ce qui crée la Ronalds-Federated Ltd.

Ronalds se spécialise dans l’impression des catalogues, des magazines, et des annuaires téléphoniques de Bell Canada. À une époque où le téléphone (fixe) est le mode de télécommunication le plus immédiat, c’est là une production fort importante : les annuaires sont réédités annuellement, distribués gratuitement de porte-à-porte, et imprimés à des centaines de milliers d’exemplaires, ce qui impose des cadences de 24 heures sur 24[4]. À son apogée, pendant les années 1970, la Ronalds-Federated est l’un des plus grands groupes d’imprimerie au Canada : il compte 16 usines et emploie 2 600 personnes.

L’intérieur de l’imprimerie Ronalds en 1936. Revue du Québec industriel, juin-juillet 1936. BAnQ.

En 1956, l’annuaire téléphonique de Bell atteint un nombre de pages record. Deux ans plus tard, il est scindé en deux grâce à la création d’un annuaire commercial séparé, nommé Les Pages Jaunes. Photo : Archives de Radio-Canada.

À partir de la fin de la décennie 1970, les nouvelles technologies d’impression et de communications provoquent des vagues de consolidation dans l’industrie de l’imprimerie. En 1976, la Ronalds-Federated acquiert l’imprimeur torontois Rolph-Clark-Stone. Elle est ensuite acquise en 1979 par FP Publications, un groupe de presse torontois qui possède alors notamment le Globe & Mail, pour être revendue dès l’année suivante à Bell Canada.

En avril 1986, le groupe Axwood, un gestionnaire immobilier impliqué dans le développement du secteur Chabanel de l’industrie montréalaise du vêtement, acquiert la « vieille usine de l’avenue du Parc »[5] pour la somme de 2 500 000 $. Bell, devenue locataire, y fait probablement imprimer ses annuaires pour la dernière fois cette même année. (En juin 1988, Bell vend d’ailleurs toutes les autres imprimeries de la Ronalds-Federated à Québécor.) Après la fin des activités d’impression avenue du Parc, Axwood loue les lieux à une foule de petites entreprises très diversifiées : ateliers de design et de tricot, bureaux professionnels, écoles privées, etc.

En novembre 2006, le groupe immobilier torontois Allied Properties achète l’immeuble pour la somme de 9 600 000 $. Allied, qui se spécialise dans la reconversion des anciens espaces industriels en bureaux destinés aux professionnels, qualifie l’acquisition de « stratégique », car elle vient de compléter l’achat du 400 avenue Atlantic voisin, le plus haut édifice du secteur, lui donnant ainsi « une forte position dans le nouveau secteur d’emplois du Mile End »[6]. D’autant plus que, ajoute l’entreprise, ces immeubles sont situés à deux pas du nouveau campus que s’apprête à construire l’Université de Montréal (le futur campus MIL). Les locataires de l’édifice Ronalds en 2024 – notamment le studio multimédia Moment Factory, l’agence de publicité multinationale Publicis et la maison de production Encore – reflètent bien effectivement les mutations de l’ancienne zone industrielle située de part et d’autre de la voie ferrée au cours des deux dernières décennies.

Dans son plan d’urbanisme de 2004, la Ville de Montréal considère qu’il s’agit d’un édifice de valeur patrimoniale exceptionnelle.

L’édifice Ronalds en 2022. Photo d’Yves Desjardins


Recherche : Marjolaine Poirier, Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, UQAM
Rédaction : Yves Desjardins
Révision : Justin Bur et Michèle Comeau

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Notes

[1] « Un imprimeur bien connu est décédé », La Presse, 28 mai 1948, p. 3.
[2] Au 71 rue William (aujourd’hui le 781 William, toujours existant).
[3] Répertoire de l’architecture traditionnelle sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal : Architecture industrielle, 1982.
[4] « Visite instructive », La Presse, 16 janvier 1930, p. 5 (texte perdu sous le grand titre « Des détails sur la future usine de Beauharnois »).
[5] « Ronalds investit $10 millions dans son imprimerie à Rivière-des-Prairies », La Presse, 26 mars 1986, p. D3.
[6] « Allied Properties Real Estate Investment Trust Announces Acquisitions in Montreal, Toronto and Winnipeg and $41 Million Public Equity Offering », communiqué de presse, Marketwire, 9 novembre 2006.

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