La rue Groll 4


La petite rue Groll, qui va de Jeanne-Mance à Saint-Urbain, détonne dans le paysage des rues du quartier. À tel point que l’écrivaine Myriam Beaudoin, dans son roman Hadassa, l’a qualifiée de « trésor intime du Mile End ». Mais qu’est-ce qui explique l’existence d’une telle rue? Et d’où vient le nom Groll ?

Une portion de la rue Groll devenue Ruelle verte. Photo : Yves Desjardins (2018).

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Au départ, se trouvait là un ruisseau. L’emplacement de la rue Groll correspond à une partie d’un cours d’eau connu sous plusieurs noms : « ruisseau du Mile End », « ruisseau de la Dalle », ou encore « torrent d’Outremont ». Sa source se trouve sur le mont Royal, peu après l’entrée d’Outremont du cimetière Mont-Royal – une partie y est d’ailleurs toujours à découvert. Le ruisseau dévalait la montagne jusqu’à un marécage où l’on a aménagé l’actuel parc Outremont. De là, il se dirigeait à l’est, traversait le Mile End et bifurquait vers les ravins du parc Logan, l’actuel parc La Fontaine.

La source du ruisseau de la Dalle, à l’entrée du Cimetière Mont-Royal. À Outremont, le ruisseau est nommé Springgrove.

Si les crues printanières étaient sans grandes conséquences lorsque les carrières de pierre et les pâturages dominaient un paysage avant tout rural, il en va autrement avec l’urbanisation du secteur, à la fin du XIXe siècle. Les résidents de la rue Saint-Laurent se plaignent régulièrement de leurs sous-sols inondés par ces crues. En 1891, le maire du village de Côte-Saint-Louis, voisin du Mile End, déclare « qu’à la fonte des neiges l’eau descend par torrent des flancs de la montagne à Outremont, près de la dalle, ou l’abreuvoir des chevaux, et envahit tout le terrain [au] nord du village de Saint-Jean Baptiste.[1] » Le maire ajoute cependant que le problème est sur le point d’être réglé, puisqu’on vient d’achever la construction d’un canal, rue Saint-Louis (l’actuelle avenue Laurier).

Mais cela ne suffit pas à expliquer l’existence de la rue Groll. Car le ruisseau, comme bien d’autres ruisseaux disparus de l’île de Montréal, a été canalisé à Outremont, tout comme à l’est de la rue Saint-Urbain, sans qu’il soit nécessaire d’aménager une rue correspondant à son cours. L’explication tient à l’urbanisation de l’ouest du Mile End pendant la même période. La ruelle est créée au printemps 1896 afin de permettre l’installation d’un égout. L’ingénieur municipal, Joseph-Émile Vanier a en effet déterminé que le cours du ruisseau dans ce secteur est le meilleur emplacement pour construire l’égout collecteur du quadrilatère situé entre Fairmount, Saint-Viateur, Jeanne-Mance et Saint-Urbain.[2]

Et le nom Groll, lui ? Il tient au charcutier Joseph-Arthur Groll. Il a fait l’acquisition, le 1er octobre 1898, d’un lot rue Saint-Urbain, adjacent à la ruelle côté nord. L’achat était probablement spéculatif, car rien n’indique qu’il y ait vécu – son commerce et sa résidence se trouvaient rue Sainte-Catherine, à l’ouest de la rue Bleury. D’autant plus que la présence de la ruelle lui offrait une belle occasion de se servir de l’arrière de son lot pour y construire une « maison de fond de cour ». Ses voisins du côté sud de la ruelle l’imiteront quelques années plus tard. La présence d’adresses résidentielles, qui existent toujours, explique d’ailleurs pourquoi la ruelle est devenue une rue dans la toponymie municipale.

La création récente de ruelles vertes sur deux tronçons de Groll contribue aujourd’hui à renforcer son caractère bucolique. Mais ce fut un combat de longue haleine. Car cette allée a longtemps été ouverte aux automobiles ; un enfant y fut gravement blessé au printemps 1984. L’accident déclencha une importante mobilisation des mères du voisinage, dont plusieurs fondatrices du Comité des citoyens du Mile End. Elles obtinrent l’année suivante la fermeture de Groll aux voitures. On annonce alors qu’un « projet est à l’étude [pour] aménager agréablement la ruelle[3] ». Il aura donc fallu patienter plus de 30 ans pour que cet aménagement soit complété !

[Recherche et rédaction : Yves Desjardins. Révision : Justin Bur.]

Liaison Saint-Louis, 29 mai 1985.

[1] « Les inondations de la rue Saint-Denis », La Presse, 12 mars 1891. Le village de Saint-Jean-Baptiste se situait au sud de l’avenue du Mont-Royal, et allait jusqu’aux limites de la Ville de Montréal alors situées aux environs de l’Avenue Duluth. Le village avait été annexé à Montréal quelques années auparavant, en 1886.

[2] L’emplacement est jugé meilleur pour deux raisons : 1. La pente naturelle du ruisseau favorise le drainage des terrains environnants dans cette direction et 2. On peut faire d’importantes économies, car le lit du ruisseau permet d’installer l’égout à des coûts moindres. C’est qu’il n’est donc pas nécessaire d’excaver profondément dans un sol très rocheux, ce qui aurait été coûteux.

[3] Michel Venne, « Des citoyennes obtiennent des améliorations pour le Mile End », Liaison Saint-Louis, 29 mai 1985.

 

 

 

 


4 commentaires sur “La rue Groll

  • poupart

    Bravo aux citoyens du Mile-End qui ont fait changer la configuration de la rue Groll. J’ajouterai que ma grand-mère qui habitait Rachel / Delormier me parlait d’un ruisseau qui traversait le terrain qui deviendra le parc Lafontaine se déversait sur la rue Champlain.

    • Justin Bur

      Oui, deux ruisseaux traversaient jadis le parc Lafontaine – celui en provenance de la rue Groll dans l’ouest du parc, où les étangs ont été aménagés plus tard; et un autre (celui de votre grand-mère) dans l’est du parc, passant par un ravin à travers la propriété Logan, comblé par l’armée britannique qui occupait le lieu avant sa transformation en parc. Les deux ruisseaux se rejoignaient plus bas, à l’emplacement actuel de l’édifice de la Sûreté du Québec, rue Parthenais. De là la rivière coulait vers l’ouest le long de l’actuelle autoroute Ville-Marie, faisait demi-tour au square Chaboillez (ancien planétarium), et se jetait dans le fleuve à la pointe à Callière.

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