Le chemin de fer


par Justin Bur

Le Mile End est associé au chemin de fer depuis plus d’un siècle et quart. Hélas, notre gare n’existe plus, les industries du quartier ne reçoivent plus de livraisons par train, et lorsqu’on pense à la voie ferrée ces jours-ci, c’est plus souvent comme barrière à franchir que comme infrastructure de base. Faisons le tour de l’histoire colorée de ce corridor ferroviaire.

Le premier chemin de fer au Canada a été mis en service en 1836. Quarante ans plus tard, Montréal avait déjà de bonnes connexions vers les États-Unis et vers l’Ontario, et un boom de construction allait mailler le pays de rails d’un océan à l’autre. La construction de la ligne Intercoloniale vers Halifax s’achevait, faisant suite à une promesse donnée à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick lors de la Confédération. Pour convaincre la Colombie-Britannique de se joindre au Canada en 1871, on avait laissé miroiter un projet encore plus ambitieux: le premier chemin de fer transcontinental sans passer par les États-Unis – ce qui allait devenir le Canadien Pacifique.

Pendant ce temps au Québec, le curé Antoine Labelle se préoccupait de l’émigration des Canadiens français vers les emplois – et vers l’assimilation anglo-protestante – aux États-Unis. Il songeait à construire un chemin de fer pour coloniser les Laurentides et ainsi convaincre les jeunes à devenir agriculteurs chez eux au lieu de partir. Et un peu partout, les villes et villages espéraient attirer un chemin de fer sur leur territoire pour se mettre sur la carte (ferroviaire) avec les retombées économiques que cela apporterait.

Tous ces facteurs se sont réunis dans le Mile End en 1869. Le docteur Pierre Beaubien était propriétaire d’une vaste étendue de terrain du côté est du boulevard Saint-Laurent dans le Mile End, autour de l’église Saint-Enfant-Jésus dont il avait offert le terrain à l’évêque Ignace Bourget vingt ans auparavant. Il avait à cœur les intérêts de l’Église – et le développement du secteur. Son fils Louis, journaliste et politicien, avait des liens serrés avec le curé Labelle, et avec les promoteurs du chemin de fer du Pacifique. Lors de la fondation de la compagnie du Chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal, Louis Beaubien s’est assuré que le mandant de la compagnie serait de relier les Laurentides au Mile End, non seulement à Montréal. Peu après, on prévoyait que cette ligne, prolongée le long de la rivière des Outaouais entre Sainte-Thérèse et Hull, allait servir comme voie d’accès à Montréal pour le futur chemin de fer du Pacifique.

N’ayant pas réussi à trouver un financement adéquat, la compagnie s’est laissé racheter par le gouvernement du Québec. Fusionnée avec une autre compagnie qui allait construire de Montréal à Québec via Trois-Rivières, la nouvelle société d’état ferroviaire a été nommée le Chemin de fer de Québec, Montréal, Ottawa et Occidental! L’ouverture du premier tronçon entre Hochelaga, Mile End, et Saint-Jérôme a eu lieu en octobre 1876. La ligne a atteint Hull l’année suivante et Québec en 1879. Elle a réussi à franchir les trois derniers kilomètres d’Hochelaga à Montréal seulement en 1882, avec l’ouverture de la gare Dalhousie coin Notre-Dame et Berri, aujourd’hui occupée par le cirque Éloize.

Après quelques difficultés dont un scandale politique, la compagnie du chemin de fer Canadien Pacifique a enfin été fondée en 1881 et l’année suivante, tel que prévu, elle a acheté la QMO&O. En juin 1886, on était prêt à recevoir les voyageurs pour la Colombie-Britannique. Son terminus était à Port Moody, comme stipulé dans le contrat avec le gouvernement fédéral; un prolongement de 20 km jusqu’à la nouvelle ville de Vancouver serait complété l’année suivante.

Par la suite, le Canadien Pacifique a multiplié ses lignes autour de Montréal et agrandi ses installations. La gare Dalhousie a été remplacée par la gare-hôtel Viger, de style château. De l’autre côté de la ville, la grandiose gare Windsor a été ouverte en 1889. Avec deux grands terminus, le CP encerclait Montréal, mais se donnait des soucis d’exploitation. La gare du Mile End a fini par être sacrifiée. En 1931, on l’a remplacée par une nouvelle gare à la tête de l’avenue du Parc – la gare Jean-Talon. Le beau bâtiment de la gare du Mile End a survécu encore 40 ans, loué à des manufactures, mais n’a pas pu résister à la construction du viaduc routier Rosemont–Van Horne en 1970…

Les industries sont arrivées, nombreuses, le long de la voie ferrée dans le Mile End à partir des années 1890. Le CP a dû créer des cours pour entreposer ses wagons, dont un le long d’un embranchement entre les avenues de Gaspé et Henri-Julien. La desserte locale ayant été laissée aux camions à partir des années 1960, la cour a cédé son espace à de nouveaux immeubles en béton – sauf son quadrant nord-est qui est devenu un espace tranquille. C’est notre Champ des possibles.

Les trains n’arrêtent plus chez nous, mais ils passent encore, la ligne étant un maillon essentiel du transport ferroviaire vers le port de Montréal. Le Mile End poursuit sa longue relation avec le chemin de fer.


En plein dans le «Mile»
Radio Centre-Ville / programme 2: vendredi 15 mars 2013
Écoutez les émissions sur SoundCloud

Capsule historique par Justin Bur pour Mémoire du Mile End