Les transports urbains


par Justin Bur

Les transports urbains sont intimement reliés à l’urbanisme et à l’existence même des grandes villes. L’histoire du partage de la rue, c’est aussi l’histoire de l’évolution de la forme urbaine. Faisons le tour des technologies et des transports qui ont façonné le Mile End et Montréal depuis cent vingt-cinq ans.

Montréal est devenu une métropole, une vraie grande ville moderne, pendant la période qui s’étend d’environ 1880 à 1930. Pendant cette période de 50 ans, la population de la ville s’est multipliée par six, dépassant les trois quarts d’un million. En Europe et en Amérique du Nord, une révolution technologique a transformé les économies et les habitudes de vie. Le transport est devenu rapide et peu couteux, grâce au chemin de fer. La télécommunication est devenue facile avec le télégraphe et le téléphone. La technologie industrielle a fait des bonds énormes. Les nouvelles méthodes de production ont nécessité la concentration de la population pour fournir la main-d’œuvre. En même temps, les nouvelles technologies ont rendu possible la vie en ville à une échelle qu’on avait rarement vue auparavant.

Le transport a longtemps été dominé par le chemin de fer et le tramway, pour des raisons assez simples: rien ne permet de déplacer de grands volumes de voyageurs ou de marchandises avec autant d’efficacité qu’un système ferroviaire. La locomotive à vapeur étant une machine polluante et dangereuse, cependant, elle ne pouvait pas circuler dans les rues. Les premiers tramways de Montréal en 1861 ont été tirés par des chevaux. C’est l’invention d’un système pratique pour électrifier les tramways qui a lancé l’époque de gloire des transports en commun. Cinq ans après ses débuts nord-américains, le tramway électrique est arrivé à Montréal en 1892 et a rapidement remplacé la traction par chevaux. La côte à Baron – la forte pente entre les rues Ontario et Sherbrooke – n’était plus un inconvénient à l’expansion de Montréal vers le nord, et les zones «éloignées» comme le Mile End devenaient plus accessibles.

Ou plutôt allaient devenir plus accessibles, si on pouvait décider qui allait construire les lignes et s’occuper de leur exploitation… Avant la Seconde Guerre mondiale, le transport en commun était le plus souvent exploité par des entreprises privées. Le tramway pouvait donner une bonne longueur d’avance à un quartier en voie de développement. Mais un quartier naissant, hors des limites de la ville, n’était pas une source de revenus sûrs pour une compagnie de tramways. Ce problème de l’œuf et de la poule a sévi dans le village de Saint-Louis-du-Mile-End entre 1892 et 1894, quand promoteurs immobiliers, compagnies concurrentes de tramways, et le conseil municipal manœuvraient pour tenter d’obtenir le plus grand avantage au coût le plus faible. Ce tourbillon a été nommé «the Mile End Muddle» par les journaux de l’époque.

Les tramways électriques, une fois en service, étaient pendant un certain temps les rois de la rue. En hiver, le déneigement était même la responsabilité de la compagnie de tramways. C’est ainsi que les conflits importants entre les véhicules de la rue et les chemins de fer sont apparus en premier lieu sur les lignes de tramways, et c’est là qu’on a construit les premiers passages à niveau séparés, comme sur la rue Saint-Denis à proximité des ateliers de tramways, ou en 1911 sur le boulevard Saint-Laurent. Les autres passages inférieurs ont été ajoutés plus tard, faisant suite à l’augmentation de circulation en tous genres.

L’automobile, une nouveauté au début du 20e siècle, a pris rapidement sa place en ville. Mais c’est seulement après la guerre que l’accès à l’automobile s’est généralisé et le désir d’améliorer les conditions de vie a créé une demande forte pour de nouvelles banlieues axées sur l’automobile – et de nouvelles routes pour permettre la circulation rapide.

La ville d’avant-guerre était maintenant jugée mal adaptée à la voiture, une situation qu’on s’efforçait de corriger. C’est ainsi que les années 1950, 60 et 70 ont vu la suppression des tramways, la construction des autoroutes urbaines, et la démolition de certains quartiers considérés insalubres. En 1960, les journaux applaudissaient le bel échangeur des avenues du Parc et des Pins avec ses lignes modernes et surtout, sa grande fluidité de circulation… Ils encourageaient la destruction des vieux quartiers, citant le nombre plus élevé de «taudis» éliminés dans d’autres villes canadiennes ou américaines, plus «progressistes» que Montréal!

Par la suite, il y a eu un mouvement dans le sens contraire. Le Mile End n’est plus considéré comme un quartier de taudis, bien au contraire – ses anciens logements rénovés deviennent inabordables pour des gens qui habitent ici depuis longtemps. Le transport en commun est redevenu une priorité, bien que les ressources qui y sont consacrées soient encore inférieures aux besoins. Le retour du tramway est envisagé… un jour, ce qui sera un signal important dans la reconquête de la ville par les transports en commun.

Mais le changement le plus visible des derniers trente ans est probablement l’arrivée du vélo comme moyen de transport reconnu à part entière. Pendant des années 1980 et 1990, des militants comme «Bicycle Bob» Silverman et Claire Morissette ont mené une lutte constante et médiatisée pour donner une place au vélo dans les rues, sur les ponts, dans le métro et les autres transports en commun. Ce qui fait que depuis quelques années, on a un service à la Ville de Montréal qui s’occupe des infrastructures cyclistes; on a des Bixi, et on a toujours plus de cyclistes urbains… même s’il y a encore du chemin à faire. Ou plutôt, à partager.


En plein dans le «Mile»
Radio Centre-Ville / programme 3: vendredi 22 mars 2013
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Capsule historique par Justin Bur pour Mémoire du Mile End