L’automobile


par Justin Bur

Lorsqu’on parle stationnement, on parle de la place de l’automobile dans la ville. Après notre survol, la semaine passée, du partage historique entre différents modes de transport dans les rues du Mile End, regardons de plus près ce qu’on peut glaner sur la place de l’automobile à travers le temps.

L’automobile est une invention de la fin du 19e siècle, plus ou moins contemporaine de son grand rival, le tramway électrique. Son essor a commencé avec la mise au point de la ligne de montage chez Ford en 1914, ce qui a fait baisser rapidement son coût de production. Vers la fin des années 1920, ce nouveau mode de transport était devenu abordable pour une grande partie de la population, et les gouvernements s’activaient à construire un réseau routier convenable et à promouvoir le tourisme automobile. Cependant, la crise économique et la guerre ont pendant longtemps limité sa généralisation. C’est donc à partir de la fin des années 1940 que son impact s’est fait le plus sentir.

Revenons au début du siècle dans le Mile End. Autour de 1910, deux commerces ont été établis sur le boulevard Saint-Laurent, tous deux dans le domaine du transport personnel. Côté est au sud de l’église Saint-Enfant-Jésus, là où se trouve aujourd’hui le Centre d’apprentissage parallèle, le St. Lawrence Livery Stable offrait des services de réparation de selles et de harnais, en plus de la location de magnifiques voitures tirées par des chevaux. Côté ouest juste au nord de l’hôtel de ville, là où le restaurant La Cucina se trouve aujourd’hui1, le St. Louis Automobile Garage montrait ses belles voitures Cutting et Rambler. Quelques années plus tard, les étables avaient fermé pour devenir… un garage d’automobiles.

La compagnie Ford est entrée dans le secteur en 1914. Sur l’avenue Laurier, au coin de l’avenue de Gaspé, Ford a construit un nouvel immeuble de quatre étages pour bien mettre en évidence sa production. À l’époque, la compagnie ne pouvait pas encore compter sur un réseau de concessionnaires: la salle de montre corporative était donc très utile. Le bâtiment étant situé sur un embranchement de la voie ferrée du Canadien Pacifique, les livraisons de nouvelles voitures étaient faciles à assurer. Après le départ de Ford, le bâtiment a été utilisé comme manufacture, et plus tard transformé en bureaux. Deux étages ont été ajoutés pendant les années 1990. Aujourd’hui, le bureau d’arrondissement du Plateau Mont-Royal s’y trouve.

À la fin de la Première Guerre mondiale, un grand commerce d’automobiles a ouvert ses portes sur la rue Saint-Denis où elle est restée jusqu’à récemment. Il s’agit de la compagnie Clermont, revendeur de voitures neuves et usagées.

De l’autre côté du Mile End, la compagnie North End Motor Sales a occupé différents emplacements sur l’avenue du Parc à partir des années 1920. Son dernier édifice, un peu au sud de la rue Bernard, est occupé aujourd’hui par un magasin Jean Coutu.

C’était après la Seconde Guerre mondiale que l’automobile a connu son grand essor – et que la ville s’est adaptée pour faciliter les déplacements en auto. Les tramways, considérés désuets partout en Amérique du Nord, ont été éliminés graduellement à Montréal entre 1951 et 1959. À part un désir de suivre la voie de la modernité, une des raisons pour leur abandon était le désir d’éliminer les conflits avec la circulation automobile qui ne cessait d’augmenter. Contrairement aux tramways, les autobus se rangent tranquillement au bord du trottoir en faisant leurs arrêts… L’ancienne salle d’attente des tramways au coin nord-est de l’avenue du Parc et de l’avenue du Mont-Royal, déjà fermé en 1940 pour devenir un restaurant, ensuite le Café Minuit, a enfin cédé sa place à une station-service vers 1960.

Les noms de rues avaient été indiqués sur de petits panneaux bleus fixés sur les maisons aux intersections. C’était suffisant pour une population à pied, mais très difficile à voir en roulant. On a donc commencé à mettre de nouveaux panneaux, grands, en lettres noires sur fond blanc, à partir de 1950.

Le déneigement a changé complètement d’échelle. Devant la nécessité de faciliter la circulation automobile – et le stationnement – même après une tempête, la Ville de Montréal a mis au point un système de déneigement d’une efficacité remarquable. C’est le système qu’on utilise encore aujourd’hui, avec le déblaiement immédiat suivi du chargement et enlèvement de la neige entassée. En 1956, l’Office national du film du Canada a produit un court documentaire, réalisé par l’écrivain Leslie McFarlane, pour vanter les mérites du nouveau système montréalais. Le maire Drapeau dirige très fièrement son opération de déneigement total. En français, le film s’appelait simplement Déneigement; en anglais, on lui a donné le titre très apte de Snow Fighters.

Mais la circulation augmentait encore et toujours. Le Mile End, cerné par sa voie ferrée, subissait d’importants embouteillages surtout sur le boulevard Saint-Laurent. La solution était radicale. On a démoli l’ancienne gare, une ancienne brasserie en forme de château, une église, une école, et quelques centaines de logements pour refaire la circulation du quartier. Les réalisations étaient le viaduc Rosemont–Van Horne, le passage inférieur Clark–Saint-Urbain, et le système de sens unique sur Saint-Laurent, Clark et Saint-Urbain, tous ouverts en 1972-73. La circulation était devenue fluide – mais à quel prix?

Et le mauvais exemple était donné. Après autant de démolitions de maisons pour les travaux publics, on a vu par la suite la démolition de maisons pour des stationnements privés, notamment chez Yellow (le côté ouest de Saint-Dominique au nord de Maguire) et chez Clermont (côté est de Saint-Denis au sud de Boucher).

C’était l’extension maximale du pouvoir de l’automobile. Aujourd’hui, on la remet tranquillement à sa place, avec un partage plus équitable de l’espace public.


En plein dans le «Mile»
Radio Centre-Ville / programme 4: vendredi 29 mars 2013
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Capsule historique par Justin Bur pour Mémoire du Mile End

Notes:
1. Remplacé par la boulangerie Guillaume en 2014.