Les soeurs McNulty et le Mile End


Mémoire du Mile End tient à remercier Vicky Robinson, la petite-fille de Marcella McNulty. Sans sa précieuse collaboration, nous n’aurions pu retracer l’histoire de cette famille irlandaise du quartier.

L’édition 1911-1912 de l’annuaire Lovell contient une inscription inhabituelle. Au rez-de-chaussée d’un triplex nouvellement construit, sur l’avenue du Parc un peu au nord de la rue Bernard, du côté est, résident les « McNulty Misses». Habituellement, quand le chef de famille – la seule personne recensée par l’annuaire – n’est pas un homme, on précise la plupart du temps qu’il s’agit d’une veuve. Or, non seulement aucune des demoiselles n’est veuve mais, lorsqu’elles résidaient à deux pas de là, rue Hutchison, au nord de Saint-Viateur, l’année précédente, c’est un homme, William McNulty, qui est décrit comme le chef de famille.

«The McNulty Misses». Quatre des sœurs McNulty, devant leur logement du 2567 avenue du Parc, vers 1911-1915. Marcella se trouve à l’extrême-gauche et Babe, à l’extrême-droite. Charles Fox se trouve au milieu, à la gauche de sa femme, Annie. La quatrième sœur, Louise, se trouve à la droite de Marcella. Collection Vicky Robinson.

« The McNulty Misses ». Quatre des sœurs McNulty, devant leur logement du 2567 avenue du Parc, vers 1911-1915. Marcella se trouve à l’extrême-gauche et Babe, à l’extrême-droite. Charles Fox se trouve au milieu, à la gauche de sa femme, Annie. La quatrième sœur, Louise, se trouve à la droite de Marcella. Collection Vicky Robinson.

Le triplex de l'avenue du Parc, au nord de Bernard, aujourd'hui disparu. Les soeurs McNulty y emménagent en 1911. Collection Vicky Robinson.

Le triplex de l’avenue du Parc, au nord de Bernard, aujourd’hui disparu. Les soeurs McNulty y emménagent en 1911. Collection Vicky Robinson.

Les parents des demoiselles McNulty, Thomas et Elizabeth sont arrivés d’Irlande pendant les années 1860. Thomas devient policier à la ville de Montréal en 1879 et ils ont neuf enfants. Sept survivent, dont un seul fils, William. Elizabeth décède, des suites de la grippe, fin avril 1901. On retrouve son mari mort sur la voie ferrée, écrasé par un train, à peine cinq jours plus tard. La famille, inquiète de ne pas l’avoir vu rentrer à la maison la veille, avait alerté ses collègues. The Gazette écrit qu’il s’est probablement suicidé, en raison du chagrin causé par le décès de son épouse1. Il appartient alors à l’aînée, Annie, une célibataire âgée de 26 ans, de devenir la chef de famille. Celui que le recenseur du Lovell considère comme le chef, mœurs de l’époque oblige, est son jeune frère de 20 ans, William. Ses sœurs diront qu’il rêvait de devenir médecin, mais le décès de ses parents l’oblige à se trouver tout de suite un emploi, d’abord comme machiniste et ensuite comme électricien. Annie, pour sa part, est téléphoniste.

Au moment du décès de leurs parents, les deux plus jeunes sœurs, Marcella et Jemina ––que tout le monde appelle « Babe », ont 18 et 16 ans. Elles ont la la réputation d’être indépendantes et fougueuses ; l’aînée, raconteront-elles beaucoup plus tard, menait la maisonnée d’une main de fer et imposait une forte discipline. Au moment de son décès, en 1936, Annie McNulty était d’ailleurs devenue assistante-directrice de la prison pour femmes de Montréal. En 1909, toute la famille quitte le vieux logement de la rue Cadieux (de Bullion aujourd’hui) pour s’installer dans un triplex flambant neuf, du côté Outremont de la rue Hutchison.

Marcella McNulty, sur le trottoir situé du côté ouest de la rue Hutchison, probablement devant le triplex où réside alors la famille, vers 1910. L'église de l'Ascension, avenue du Parc, est en arrière-plan. Collection Vicky Robinson.

Marcella McNulty, sur le trottoir situé du côté ouest de la rue Hutchison, probablement devant le triplex où réside alors la famille, vers 1910. L’église de l’Ascension, avenue du Parc, est en arrière-plan. Collection Vicky Robinson.

Babe McNulty, sur le balcon arrière du logement de l’avenue du Parc, vers 1911-1915. Collection Vicky Robinson.

Babe McNulty, sur le balcon arrière du logement de l’avenue du Parc, vers 1911-1915. Collection Vicky Robinson.

Marcella et Babe acquièrent leur liberté l’année suivante, lorsque leur sœur aînée épouse un veuf qui a vingt ans de plus qu’elle. Il s’agit de Charles James Fox, gérant de la publicité au journal The Gazette. Tous deux Anglicans, ils se sont peut-être connus comme paroissiens de la toute proche église de l’Ascension, ouverte cinq ans plus tôt sur l’avenue du Parc, juste au sud de la rue Saint-Viateur. Après leur mariage, Charles et Annie emménagent non loin, boulevard Saint-Joseph, tandis que Marcella et Babe laissent le logement de la rue Hutchison à leur frère William, qui se marie lui aussi en 1910. Elles se trouvent un nouveau logement dans un autre triplex qui vient tout juste d’être construit, au 2567 avenue du Parc (ce serait le 5887 aujourd’hui). Marcella et Babe sont alors toutes deux sténographes, l’une pour un avocat et l’autre pour un marchand. Les frères Robinson, John et Garnett, vivent au rez-de-chaussée du triplex adjacent. Après une cour de quelques années, ils réussissent à séduire chacun une sœur. Après leurs mariages, en septembre 1915, les deux familles connaissent la vie typique des locataires montréalais et déménagent à plusieurs reprises, à la recherche de logements moins chers ou plus vastes. La génération suivante s’installera à Rosemont dans les années d’après-guerre. Après le décès de Marcella, en 1978, sa petite-fille Vicky va retrouver des négatifs oubliés dans un coffre qui lui appartenait. Cette découverte nous donne de très rares témoignages photographiques d’une famille irlandaise du Mile End et des rues du quartier, au début du 20ème siècle.

Le chien des McNulty, vers 1910. On aperçoit le côté ouest de la rue Hutchison et la rue Durocher, ainsi que le mont Royal, en arrière-plan. Les photos de triplex en construction, pendant cette période, sont très rares. Collection Vicky Robinson.

Le chien des McNulty, vers 1910. On aperçoit le côté ouest de la rue Hutchison et la rue Durocher, ainsi que le mont Royal, en arrière-plan. Les photos de triplex en construction, pendant cette période, sont très rares. Collection Vicky Robinson.

Marcella McNulty, devant le triplex de l'avenue du Parc, entre 1911 et 1915. Collection Vicky Robinson.

Marcella McNulty, devant le triplex de l’avenue du Parc, entre 1911 et 1915. Collection Vicky Robinson.

 

 

Notes:
1. « Constable McNulty Killed by a Freight Train. Death of His Wife, and Recent Illness, It Is Thought, Might Have Preyed on Him », The Gazette, 6 mai 1901