Maison Georges-Marcil


juillet 2016 [Christine Richard]

juillet 2016 [Christine Richard]

Les maisons jumelées du 5570-5578 sont aujourd’hui le plus ancien immeuble de l’avenue du Parc, au nord de l’avenue du Mont-Royal. Édifiées dans le cadre du projet résidentiel de luxe Montreal Annex dans les années 1890, elles témoignent de la transformation du village Saint-Louis-du-Mile-End en une banlieue urbaine et des ambitions de promoteurs torontois qui rêvaient de profiter de la fièvre immobilière qui s’était emparée de Montréal.

Ces maisons sont construites en 1893 par l’agent d’immeubles Georges Marcil, qui espère ériger plusieurs de ces maisons sur l’avenue du Parc et ainsi participer au développement de l’Annexe. Mais Marcil rencontre de nombreux obstacles dans cette entreprise qui lui feront préférer une autre banlieue, Notre-Dame-de-Grâce. 


Saint-Louis-du-Mile-End connait à partir des années 1880 une urbanisation accélérée. Une véritable fièvre immobilière s’est emparée de ce village d’artisans et d’ouvriers. Le promoteur torontois Rienzi Athel Mainwaring compte bien en profiter. Il achète, en juin 1890, la majorité des terres de la ferme Perrault-Nowlan, puis un peu plus tard, des terres de la famille Bagg, en vue de développer un projet immobilier prestigieux, Montreal Annex. Mainwaring et son associé, Clarence J. McCuaig, espèrent reproduire à Montréal le succès de The Annex, un quartier haut de gamme de Toronto, et faire de la Montreal Annex une des banlieues les plus prestigieuses de Montréal, capable de rivaliser avec Côte-Saint-Antoine (rebaptisée Westmount en 1895). Le projet s’étend entre le boulevard Saint-Laurent, l’avenue Durocher à Outremont, l’avenue Fairmount et la rue Saint-Zotique (noms de rues d’aujourd’hui, car ils étaient différents à l’époque). Son épine dorsale devait être la nouvelle avenue du Parc : celle-ci est réservée exclusivement aux résidences de grande classe – il est hors de question d’y construire des duplex et triplex – et toute activité commerciale y est interdite. La similitude revendiquée entre la future banlieue et le quartier torontois est telle que le premier plan de lotissement de l’Annexe montréalaise emprunte plusieurs noms de rue au quartier torontois : Spadina, Madison, Admiral et Bernard, noms respectifs des actuelles rues Durocher, Hutchison, Jeanne-Mance et Bernard.

La banlieue rêvée par McCuaig et Mainwaring vise une clientèle relativement fortunée, à la recherche d’une résidence éloignée du lieu de travail ; ce qui la différencie du Mile End ouvrier de l’est où les travailleurs vivent à proximité des manufactures qui les emploient. Mais pour réussir leur pari, les promoteurs torontois doivent obtenir la construction d’une ligne de tramway électrique sur l’avenue du Parc, reliant la rue Craig (alors le centre-ville de Montréal) au futur quartier. Seul un tel moyen de locomotion peut permettre de surmonter les obstacles géographiques et offrir une liaison rapide, efficace et à coût raisonnable entre la ville et la banlieue. Malheureusement pour les deux Ontariens, l’installation du tramway fait l’objet de fortes réticences – la Compagnie des chars urbains ne croit pas en la nouvelle technologie qu’est le tramway électrique – et de batailles féroces de différents groupes d’intérêts. La ligne de tramway est finalement construite en 1892 jusqu’à l’avenue du Mont-Royal et prolongée en 1894 jusqu’à la rue Saint-Louis (avenue Laurier). Ce n’est pas là la seule difficulté rencontrée par le projet. Les infrastructures nécessaires à l’urbanisation d’un ancien territoire rural – aqueducs, égouts, éclairage et trottoirs – se font attendre. En 1905, le nord du Mile End n’a toujours pas d’égout ! Le contexte économique du début des années 1890 ne favorise pas non plus une telle entreprise.

Publicité de Georges Marcil pour des lots à vendre dans l’Annexe. La Presse, 9 septembre 1899.

La Maison Georges-Marcil, telle que représentée dans une lithogravure publicitaire de 1892. BAnQ, fonds McCuaig & Mainwaring (détail), P486.

C’est dans ce contexte qu’en 1893 sont construites les maisons jumelées de l’actuel 5570-5578 avenue du Parc par l’agent d’immeubles Georges Marcil, qui espére ériger plusieurs de ces maisons et ainsi participer au développement de l’Annexe. Mais les ambitions de Marcil souffrent des difficultés rencontrées par le projet de Mainwaring. Marcil préfère finalement tenter sa chance dans une autre banlieue en pleine expansion, Notre-Dame-de-Grâce. Il y réussira à la fois comme agent d’immeubles et homme politique : Marcil achète d’abord en 1905 des terres agricoles qu’il lotit sous le nom de « Westmount Plateau », et devient ensuite le dernier maire de Notre-Dame-de-Grâce avant son annexion à Montréal en 1910. Il  poursuivra sa carrière comme échevin du nouveau quartier, où une avenue commémore d’ailleurs son nom.

Le 5570-5578 avenue du Parc est le second édifice résidentiel construit sur l’avenue du Parc au nord de l’avenue du Mont-Royal. (La première maison érigée sur l’avenue est celle de Mainwaring. Celui-ci s’était fait construire une résidence luxueuse, qui lui servait de maison modèle pour la promotion de son projet résidentiel. La résidence Mainwaring est emportée par un incendie criminel en 1973.) L’édifice composé de deux maisons jumelées est toujours debout. Si l’on fait abstraction de la devanture du restaurant Aux Lilas, sa façade est aujourd’hui très proche de celle que pouvait observer un promeneur sur l’avenue du Parc en 1893. Autour de 1914, la partie nord de la bâtisse a été divisée en deux unités distinctes. La construction d’une extension à la façade nord a permis l’ajout d’un escalier intérieur donnant un accès indépendant à l’appartement supérieur.

Aujourd’hui, l’édifice comprend huit logements et deux espaces commerciaux.


Voir aussi

Maison Rienzi-Athel-Mainwaring
Appartements Fairmount Court
Appartements Valmont
Collège rabbinique du Canada
YMCA Du Parc

 

[Recherche et rédaction : Yves Desjardins et Christine Richard|