Pianos Pratte (manufacture)


Whisky Café / Cité-Amérique, 2016 [Justin Bur]

L’ancienne manufacture Pratte, occupée par Whisky Café et Cité-Amérique, 2016 [Justin Bur]

Au tournant du XXe siècle, la facture de pianos est une industrie florissante au Canada. Le Mile End a eu trois manufactures de pianos : les pianos Georges Ducharme (1900–05), les pianos Pratte (1909–23) et The Craig Piano Company (1905–30). La compagnie de pianos Pratte est la plus prestigieuse de ces manufactures. Elle s’installe à l’angle de la rue Bernard et du boulevard Saint-Laurent en 1909 et y restera jusqu’en 1923. Pratte est le premier facteur de pianos à concevoir un piano à queue au Québec et le premier à fabriquer un piano mécanique au Canada. Les innovations techniques apportées au piano droit par Antonio Pratte font du piano Pratte un sérieux compétiteur des instruments produits par les facteurs américains et européens.


En 1909, la compagnie de pianos Pratte fait construire une toute nouvelle manufacture à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Bernard. Au moment de son installation dans le Mile End, la maison Pratte est déjà reconnue comme un des plus prestigieux facteurs de pianos canadiens.

L’histoire des pianos Pratte commence en 1876 : Louis-Étienne-Napoléon Pratte (1853–1911), originaire de Princeville, devient responsable des instruments dans la boutique de musique d’Adélard J. Boucher, rue Notre-Dame tout près de la place d’Armes. Dix ans plus tard, Pratte est seul en charge du magasin, où il vend les meilleurs pianos canadiens, américains et européens. Jusqu’à une centaine de pianos et orgues y sont exposés. Aux étages supérieurs, on trouve un atelier de réparation de pianos.

Louis-Étienne-Napoléon Pratte a de grandes ambitions : il veut fabriquer des pianos capables de soutenir le climat canadien. Il reproche aux facteurs canadiens de produire des copies de pianos américains inadaptés aux rigueurs du climat canadien. Son ambition est réalisée lorsque son frère Antonio (1865–1943), devenu facteur de pianos après un long apprentissage, met au point en 1889 le piano Pratte. L’entreprise est en réalité l’œuvre de trois frères : Louis-Étienne-Napoléon se charge du markéting, Antonio de la fabrication et Évariste des ventes.

Un des membres fondateurs de la Chambre de commerce, Louis-Étienne-Napoléon est un habile homme d’affaires. Ainsi, entre 1896 et 1899, il publie une revue d’éducation et d’actualités musicales, L’Art musical, dont la mission est de « Propager les saines notions de l’art musical [et] relever le niveau du goût, défendre les intérêts de l’art ». L’Art musical permet à la maison Pratte de faire la promotion des instruments qu’elle vend (neufs et d’occasion) et de ses propres pianos. Ce n’est pas la première publication musicale de L.É.N. Pratte. De 1881 à 1882, Pratte avait publié le Boucher and Pratte’s Musical Journal, en collaboration avec Adélard J. Boucher.

Antonio Pratte

Antonio Pratte. La Revue moderne, 15 août 1920, p. 13 [BAnQ]

Le véritable concepteur du piano Pratte est Antonio Pratte. Ce musicien est passionné de mécanique. Il a étudié l’art de la fabrication de pianos à Bowmanville (Ontario) à la Dominion Organ Company, alors la seconde fabrique de pianos et d’orgues au Canada après Bell Piano de Guelph (Ontario), et à New York. Le 24 décembre 1889, le piano Pratte est terminé. Il est le résultat de huit années de développement minutieux. À la recherche du son le plus juste, Antonio accumule les dépôts de brevets tant au Canada qu’à l’étranger pour les améliorations qu’il apporte au piano droit. C’est avec une rigueur mathématique qu’il s’attelle à définir chaque partie du piano. Il va jusqu’à inventer ses propres instruments de mesure pour régler chacune des pièces. Le piano Pratte remporte un succès immédiat auprès des artistes, de la presse, du public – et des communautés religieuses. La maison se vante d’être le choix de nombreux artistes canadiens et internationaux. Dominique Ducharme, organiste du Gesu et professeur de piano bien connu à Montréal, fait ainsi l’éloge du piano Pratte dont il vient de faire l’acquisition : « un petit bijou aussi remarquable par la puissance, l’ampleur et la beauté du son que par les qualités de ses vibrations douces et veloutées ». En 1900, le piano Pratte remporte une médaille d’argent à l’Exposition universelle de Paris.

Toute sa vie, Antonio cherchera à pousser plus loin la fabrication de pianos au Québec et à se tenir au plus près des changements technologiques. Ainsi, Pratte est le premier facteur de pianos à fabriquer des pianos mécaniques au Canada, faisant ainsi concurrence à l’américain Æolian. Il est aussi le premier à proposer un piano à queue au Québec. Antonio travaille sur ce projet depuis 1896. Le piano à queue Pratte fait ses débuts en 1912 lors d’un concert donné au Ritz-Carlton par la pianiste québécoise Victoria Cartier, reconnue alors pour la qualité de son enseignement musical à Montréal. Cette inauguration est un triomphe. Antonio invente également un nouveau type d’harmonium pour les églises : un harmonium doté d’un clavier à transpositeur. À partir de 1918, la maison Pratte commercialise également un phonographe, le Prattephone.

Malgré tous ces succès, les affaires ne vont pas toujours bien pour les frères Pratte. La compagnie de pianos Pratte, incorporée par lettres patentes en 1895, est mise en liquidation en 1899 : le marché canadien serait trop petit pour rentabiliser une production de pianos de luxe. Son usine à Huntingdon est fermée et vendue. Le magasin Pratte de la rue Notre-Dame ferme ses portes en 1900. Mais le piano Pratte renaît l’année suivante, avec une salle de montre rue Sainte-Catherine et un atelier rue Saint-Timothée.

La Presse, 22 octobre 1909, p. 8 [BAnQ]

En 1909 la maison Pratte ouvre une nouvelle manufacture, construite sur mesure, à l’angle nord-ouest du boulevard Saint-Laurent et de l’avenue Bernard. Les bureaux et la salle de montre sont situés au rez-de-chaussée, et les ateliers de fabrication et de réparation aux étages supérieurs. Son système de ventilation et sa large fenestration font de cette manufacture un édifice présentant des conditions de travail modernes. À la mort de Louis-Étienne-Napoléon en 1911 (Évariste décèdera d’une hémorragie cérébrale en 1913), Antonio, qui s’est jusque-là tenu dans l’ombre de son frère, reprend les rênes de la compagnie.

En 1923, Antonio Pratte quitte le Mile End, en confiant la distribution de ses pianos à J. Donat Langelier, un autre facteur de pianos avec un magasin d’instruments, rue Sainte-Catherine Est à l’est de la rue Berri. L’atelier Pratte déménage brièvement tout près de sa première adresse, rue Notre-Dame Ouest. Mais en 1926, la maison Pratte fusionne avec J. Donat Langelier. Aux dires de Langelier, Antonio Pratte continue à superviser la production des pianos Pratte au moins jusqu’en 1934. Langelier fusionnera à son tour en 1963 avec son principal concurrent, N. G. Valiquette, pour devenir Langelier-Valiquette Limitée jusqu’à sa fermeture en 1984.


Voir aussi

La Main, toujours de son temps – 5800-04 (Les Amis du boulevard Saint-Laurent)

Pratte (Encyclopédie canadienne)

Fréd. Pelletier, « Le piano Pratte », dans La Musique, revue mensuelle, Québec, janvier 1922 [BAnQ]

 

[Recherche et rédaction : Christine Richard. Révision mars 2019 : Justin Bur]