Polyvalente Émile-Nelligan


La polyvalente Émile-Nelligan en 1970. Elle a été conçue par la firme d’architectes Pauer, Bourassa, Gareau et Lalonde. Photo : Pierre-Richard Bisson. Bibliothèques de l’Université de Montréal, PB07371.

L’ancienne école Émile-Nelligan, située avenue Henri-Julien entre Gilford et Villeneuve, est l’un des fruits de la Révolution tranquille. À la suite de la publication du rapport Parent, entre 1963 et 1966, le Québec crée un réseau d’écoles polyvalentes dans le but d’améliorer l’accès à l’éducation secondaire. Afin de favoriser une plus grande mixité sociale, on veut regrouper sous un même toit les élèves qui suivent un parcours professionnel court et ceux qui se destinent aux études universitaires. De plus, à Montréal, dans les quartiers défavorisés, la commission scolaire et la Ville veulent confier une mission communautaire à ces nouvelles écoles. Or, dans le cas d’Émile-Nelligan, les espoirs des réformistes vont se heurter à une complexe réalité.

L’école polyvalente Émile-Nelligan est l’héritière de l’école Notre-Dame-de-l’Espérance, une école secondaire pour filles qui était située rue Saint-Denis, en face du square Saint-Louis. En février 1965, l’école est fermée en catastrophe, car, en raison des vibrations causées par la construction du métro, on juge que l’édifice est sur le point de s’effondrer. (Le site est aujourd’hui occupé par l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.)  Dès l’été suivant, la Commission des écoles catholiques de Montréal (CÉCM, ancêtre du Centre de services scolaire de Montréal) a trouvé un nouvel emplacement : le quadrilatère compris entre les rues Hôtel-de-Ville, Villeneuve, Henri-Julien et une ligne reliant les rues Gilford et de Varennes. Il s’agit d’un secteur mixte, où des duplex et triplex mal entretenus cohabitent avec des cours à rebuts et de petites manufactures.

La commission scolaire a aussi décidé de faire de Notre-Dame-de-l’Espérance l’une de ses premières polyvalentes – un édifice moderne pour 2 500 adolescentes accompagné d’un « parc-école ». Quelques mois avant l’ouverture, en septembre 1970, le critique architectural du journal La Presse ne tarit pas d’éloges : il qualifie le projet de « révolutionnaire » et salue « le courage des architectes ». En créant un concept novateur qui rappelle l’architecture contemporaine d’Expo 67, ils ont su surmonter, écrit-il, les contraintes financières et techniques imposées par les fonctionnaires, ainsi que celles résultant de l’exiguïté du terrain. Deux innovations sont particulièrement remarquables selon lui : le puits de lumière qui illumine l’agora du rez-de-chaussée, ce qui en fait « le centre de communications de l’édifice », et le toit-terrasse qui servira de cour d’école en complément du parc. Un bémol cependant : « on pourrait reprocher à l’édifice son grand volume quand on le voit dans son environnement actuel : un ensemble de maisons basses en briques. Dans le plan de réaménagement de Montréal toutefois, ce quartier est voué à la démolition[1]. »

La polyvalente est renommée Émile-Nelligan lorsqu’elle ouvre ses portes en septembre 1970. Elle devient progressivement mixte à partir de septembre 1974. Cependant, même avec l’admission des garçons, la CÉCM calcule qu’elle aura 20 professeurs de trop à la rentrée 1974. Ceux-ci s’insurgent : selon eux, la commission scolaire n’a pas prévu, dans la répartition de la tâche, les besoins spécifiques d’une école située en « milieu particulièrement défavorisé », ce qui exigerait la présence de plus d’enseignants. Les conflits entre la direction, les élèves et les enseignants se multiplient au cours des années suivantes. La crise culmine au mois de mars 1979 lorsque l’équipe de direction démissionne en bloc, ce qui oblige la CÉCM à nommer un tuteur doté de pouvoirs extraordinaires. Il faut dire que l’école a connu cinq équipes de direction en six ans ; celle qui a claqué la porte n’était en poste que depuis septembre.

Dans son rapport, déposé en juin 1979, le tuteur recommande de cloisonner le grand espace ouvert situé sous le puits de lumière central. Il est devenu dangereux, car les élèves lancent trop souvent depuis les étages des chaises et des poubelles vers le rez-de-chaussée. Les murs sont installés et une nouvelle équipe de direction entre en fonction. Dès l’année suivante, cependant, elle lance un appel à l’aide, en raison de la multiplication des cas de port d’armes, de fugues, de vandalisme, de drogue, de chantage et de prostitution. Une équipe de psychoéducateurs et de travailleurs de rue du centre de réadaptation pour adolescents Boscoville est envoyée en renfort.

Trois ans plus tard, c’est pourtant pour une autre raison que la CÉCM jette finalement l’éponge: Émile-Nelligan n’a plus que 400 élèves. On les transfère à la polyvalente Jeanne-Mance, rue de Bordeaux, pour la rentrée de septembre 1983. Début 1985, la CÉCM vend l’édifice à l’École de technologie supérieure (ETS) pour la somme de 8 millions de dollars. Le journal Le Devoir souligne alors que cet abandon de l’un des « symboles de la Révolution tranquille » est la première vente d’une polyvalente sur l’île de Montréal.

Entre-temps, la Ville de Montréal avait mis en branle le projet de parc qui devait compléter l’école. Début 1975, elle achète les duplex et triplex situés entre le côté sud de l’école et l’avenue du Mont-Royal dans le but de les démolir. Plusieurs locataires ne l’entendent cependant pas de cette oreille : ils ne font pas confiance aux promesses de relogement de la Ville et estiment que leurs logements, souvent en bon état, devraient plutôt être rénovés. Le Comité logement Saint-Louis, qui mobilise ces locataires, fait valoir que le parc devrait plutôt être aménagé en face de l’école Émile-Nelligan, du côté est de l’avenue Henri-Julien, où se trouve un vaste terrain vacant. La Ville l’a acheté en 1972 pour y construire une habitation à loyer modique (HLM) destinée aux personnes âgées.

Après une consultation, Montréal se rallie à ce point de vue et y aménage le parc Villeneuve. (En 2016, il sera renommé parc Palomino–Brind’Amour, en l’honneur de Mercedes Palomino et Yvette Brind’Amour, les fondatrices du Théâtre du Rideau-Vert voisin.) La plupart des logements situés à l’emplacement prévu initialement pour le parc sont devenus des HLM. Environ la moitié ont été rénovés et les autres remplacés par des bâtiments neufs. L’ensemble est géré par l’Office municipal d’habitation de Montréal. Le CPE Les Ateliers occupe depuis 2005 la partie sud du terrain.

Le parc Émile-Nelligan existe pourtant bel et bien : mais au lieu d’englober tout le quadrilatère initialement prévu, il se fait tout discret, caché là où se termine l’avenue Laval, qui, au nord de l’avenue Mont-Royal, prend l’allure d’une ruelle. Tout cela fait en sorte que les espaces verts sont particulièrement nombreux dans ce secteur, puisqu’il comprend deux autres petits parcs : le parc Pierre-Boucher-acteur, à l’intersection des rues Gilford et Henri-Julien, et le parc Gilles-Lefebvre (anciennement le parc Drolet), du nom du fondateur des Jeunesses musicales du Canada. L’organisme occupe l’immeuble adjacent, celui de l’ancienne clinique médicale Seigler, avenue du Mont-Royal angle Henri-Julien.

Quant à l’édifice de la polyvalente Émile-Nelligan, il a abrité l’ETS jusqu’à son déménagement rue Notre-Dame, près du centre-ville, en 1997. L’École nationale d’administration publique (ENAP) et le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec ont pris le relais, mais ils ont dû déménager temporairement à leur tour à la suite d’un spectaculaire incendie, le 7 décembre 2005. Les travaux de rénovation, qui ont duré jusqu’à 2010, ont permis de renouer en partie avec le concept des années 1960, puisque l’atrium central a retrouvé l’espace ouvert qui le relie au puits de lumière. Le toit qui devait servir de cour d’école est finalement devenu un toit vert. Et si les murs de béton de l’édifice dominent toujours les duplex et triplex des rues environnantes, ils sont maintenant décorés par les vers de Gaston Miron qui y ont été peints.

En 1974, la réalisatrice Hélène Girard a réalisé le documentaire « Les filles c’est pas pareil ». Tourné en partie à l’intérieur et aux alentours de la polyvalente, il recueille les témoignages d’adolescentes qui fréquentaient alors Émile-Nelligan. Le film peut être vu sur le site de l’ONF.


Recherche et rédaction : Yves Desjardins, 2021
Révision : Justin Bur

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[1] Normand Thériault, « Je joue sur le toit, j’étudie dans la tour », La Presse, 30 mai 1970, p. 40.