Présente au centre-ville depuis 1886, avenue McGill College, la congrégation B’nai Jacob, formée de Juifs russes et polonais, achète les terrains du Mile End en 1918. Elle veut construire l’une des plus grandes synagogues au Canada, mais aussi en faire le principal centre communautaire des Juifs du « North End », nom alors donné au Mile End. Les plans du nouvel édifice sont dévoilés le printemps suivant ; le projet initial est effectivement grandiose. Il prévoit un vaste dôme circulaire et un minaret, qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’église irlandaise St. Michael’s construite quatre ans plus tôt. Mais tout ne va pas comme prévu. Les plans doivent être révisés et le permis de construction pour un édifice plus modeste n’est émis par la Ville de Montréal qu’en décembre 1919.
Le 19 août 1921, la congrégation annonce que la nouvelle synagogue est enfin terminée et qu’elle sera ouverte à temps pour les fêtes solennelles : « cette synagogue est la plus grande et la plus belle à Montréal. De construction moderne et décorée artistiquement, bien ventilée et hygiénique, elle fait la fierté des Juifs montréalais. » L’édifice qui ouvre alors ses portes est de style roman. Le minaret et le dôme ont disparu et les façades latérales sont plus modestes que dans le plan initial. Il n’en conserve pas moins, grâce à son toit cylindrique, une arche frontale massive. Sarah Ferdman Tauben suggère que ce style, inspiré de synagogues françaises, veut créer un lien avec le caractère canadien-français du quartier environnant.
Les premières années sont cependant difficiles et il faudra une mobilisation de l’ensemble de la communauté juive montréalaise pour résoudre les problèmes financiers. B’nai Jacob doit survivre, écrit en 1922 le Canadian Jewish Chronicle, non seulement comme synagogue mais aussi comme centre communautaire pour protéger et promouvoir l’identité juive dans le nouveau quartier :
Il faut un endroit – un centre de rencontre pour les jeunes – où ils pourront tenir des activités juives. Ce centre doit prendre la place des salles de billard, des coins de rue, des salles de danse louches et de tous ces endroits qui éloignent la jeunesse juive d’un environnement juif. (…). C’est là toute la signification de la synagogue B’nai Jacob pour les Juifs du North End et la fin de ses activités ne serait rien de moins qu’une calamité. La communauté du North End fait face à une crise sérieuse. Elle ne doit pas y faire face seule.
Cette vocation s’accomplit notamment grâce à la chorale et aux concerts. La synagogue était réputée pour son acoustique remarquable et ses chantres renommés, attirant un public fidèle. Sa chorale, formée de jeunes du quartier, avait également une grande réputation. La B’nai Jacob Young People’s Society est particulièrement active. Le programme de la soirée du 27 décembre 1922 nous en fournit un exemple : la soirée commence par un exposé sur la situation des femmes en Russie soviétique. L’orateur invité soutient qu’elles y ont atteint une véritable égalité avec les hommes, grâce aux cuisines collectives et aux garderies créées par l’État. Madame Mary Fuerst chante ensuite quelques chansons, suivi par une lecture publique de la nouvelle « L’ours » d’Anton Tchekhov. Le tout se conclut par la prestation d’un trio à cordes. En même temps, l’édifice, pourtant à peine complété, est rénové pour y aménager une nouvelle salle multifonctionnelle. Salle de danse d’abord, afin d’attirer les jeunes du quartier, mais aussi une salle qui est louée à d’autres congrégations, plus pauvres. La publicité le souligne : « pourquoi prier dans des boutiques ou des salles de danse bon marché, quand vous pouvez louer à prix modique une salle dans une synagogue ? »
Cependant, l’effectif de la congrégation baisse fortement pendant les années 1950, avec le départ de la communauté juive vers les nouvelles banlieues. En 1956, B’nai Jacob fusionne avec Chevra Kadisha, une autre congrégation du Mile End qui a déjà déménagé à Snowdon. En avril 1964, le Collège français achète l’édifice de l’avenue Fairmount et remplace la façade originale par une façade moderne. L’intérieur est complètement transformé pour abriter des salles de classes. L’acte de vente permettait au vendeur d’enlever tous les symboles religieux de l’édifice, y compris les caractères hébraïques sur la façade. Mais ça n’a pas été fait, ce qui a permis cette curieuse juxtaposition des vocations originale et contemporaine de l’édifice, un autre exemple de l’hybridité du Mile End.
Les murales en céramique de chaque côté de l’entrée principale de l’école sont des œuvres de l’artiste multidisciplinaire Jiři (Georges) Lauda (1925-2014). Né à Prague, Lauda est arrivé à Montréal en 1951, où il a eu une carrière réussie. Parmi ses grandes murales encore visibles, signalons Le poète dans l’univers (avec Paul Pannier et Gérard Cordeau), installée à la station de métro Crémazie en 1968, et L’évolution du nursing, installée au pavillon Marguerite-d’Youville de l’Université de Montréal en 1974. C’est également Lauda qui a conçu avec Robert LaPalme la grande plaque commémorative de l’ouverture du métro placée sur la «puck» de la station Berri–UQAM.
Une retrospective virtuelle de la carrière de Georges Lauda peut être trouvée sur le site web d’antiquités québécoises antiquepromotion.com, grâce au contributeur Collectoboce.
[Recherche et rédaction : Yves Desjardins, 2016 – Ajout Georges Lauda : Justin Bur, 2021]