United Dairy


United Dairy (détail), mars 2016 [Justin Bur]

United Dairy (détail), mars 2016 [Justin Bur]

Ce ravissant bâtiment construit en 1933 témoigne de la présence passée de nombreuses petites laiteries dans le secteur. Le développement de l’activité de transformation laitière s’explique par la proximité du chemin de fer jumelée à la croissance spectaculaire de la population urbaine au début du 20e siècle.

À partir de la fin 19e siècle, l’agriculture québécoise se spécialise vers la production laitière. En raison de l’urbanisation, l’industrialisation et le développement des transports, cette activité n’est plus simplement une activité rurale, elle se développe aussi en ville. Le lait devient un produit industrialisé destiné à alimenter les villes.

La United Dairy recevait le lait de la campagne le long des lignes du chemin de fer du Canadien Pacifique dans les Laurentides et en Montérégie, puis le transformait. À l’intérieur de l’édifice étaient assurées les opérations d’embouteillage et de pasteurisation, de confection du beurre, de lavage des bouteilles et d’entreposage.


L’édifice au 5434 rue Saint-Dominique a été construit en 1933 pour la laiterie United Dairy. Son terrain, adjacent à la vaste usine de vêtements de la John W. Peck, faisait partie depuis 1912 de sa réserve pour une ultime expansion qui n’a jamais eu lieu. Peck a donc vendu le terrain vacant à la laiterie en 1932. Œuvre de l’architecte Charles Davis Goodman, ce petit bâtiment de deux étages montre l’influence du style Art déco alors très en vogue. Le traitement en retrait triangulaire de la porte d’entrée est remarquable, ainsi que les fenêtres en bandeau et fenêtres d’angle à l’étage, emblématiques du modernisme. Des motifs dans la brique, le crénelage au niveau de la corniche, des accents en pierre artificielle ainsi que le nom « United Dairy Company Limited » gravé dans un cartouche central sont autant d’autres éléments marquants de la façade. Goodman travaillait en même temps sur l’Hôpital général juif, en collaboration avec J.C. McDougall (ouvert 1934). Plus tard, il a conçu d’autres édifices notables, dont l’hôtel Laurentien (1948; démoli 1978) et le célèbre restaurant Ben’s (1950; démoli 2008), de style Streamline.

L’ancienne United Dairy, en 2016. [photos Christine Richard]

Robert Brettschneider, d’origine juive polonaise, arrive au Canada en 1926. Il fait venir l’année suivante son épouse Bessie ainsi que son frère cadet Osias. En 1930 Robert Brettschneider fonde avec Jacob Rottermund la laiterie United Dairy. Elle aura une histoire courte et mouvementée.

La laiterie démarre dans des locaux loués, une maison de fond de cour aux 5244-5246 avenue Casgrain. En 1933, elle déménage dans son nouvel immeuble construit sur mesure. Cependant, constamment aux prises avec les autorités et avec les plaintes de ses concurrents (par exemple, vente du lait à un distributeur en-dessous du prix officiel de la Commission de l’industrie laitière; utilisation de bouteilles de verre appartenant à d’autres laiteries; modification du taux de matière grasse dans le lait; et même la vente d’actions de la laiterie sans passer par un courtier en valeurs mobilières), la United Dairy est condamnée en justice à répétition: en avril 1938, les journaux font écho de sa dix-neuvième condamnation, assortie d’une amende de 1000 $. La laiterie déclare faillite peu après. (On peut se demander pourquoi la même laiterie est condamnée 19 fois en cinq ans. Dénonciations intéressées de concurrents? Refus de se plier à des règles arbitraires? La survie en temps de crise économique? Hélas, les bribes de reportages ne nous donnent pas assez d’indices… Un dernier rebondissement : Brettschneider accusera Rottermund en 1941 du vol de 40 000 bouteilles vides de la United Dairy! Il plaide non coupable. Les journaux n’ont pas rapporté la décision de la cour.)

Robert Brettschneider ne s’avoue pas vaincu : il incorpore (seul) une nouvelle compagnie, la Snowdon Dairy, en septembre 1938. Il peut rester dans les anciens locaux de la United, grâce à un ami qui achète l’immeuble dans la vente de faillite, le lui revendant quelques années plus tard. La laiterie y fera affaire jusqu’à sa fermeture en 1954 – un moment qui correspond au plus fort de la migration juive du Mile End vers le quartier Snowdon. De 1953 à 1958, l’édifice héberge également les bureaux d’un distributeur de lait, l’entreprise North End Milk Distribution, apparemment la dernière activité liée à l’industrie laitière dans ce bâtiment.

Pendant sa retraite, Brettschneider agit comme président de la congrégation Shomrim Laboker, récemment déménagée dans un édifice moderne du quartier Snowdon. Il chapeaute deux fusions avec d’autres congrégations en 1957 et 1959. Il s’implique aussi dans d’autres projets comme une boutique de vêtements avec un fils et des investissements immobiliers avec un gendre, à qui il vend le bâtiment de l’ancienne laiterie en 1963. Il décède en 1966, laissant dans le deuil son épouse, ses cinq enfants, et la famille de son frère.

Comme bien d’autres bâtiments industriels à proximité, celui de la laiterie est par la suite utilisé par l’industrie du vêtement. À l’abandon et sérieusement dégradé au tournant du siècle, il a enfin été restauré en 2009 pour abriter l’entrepôt de Latitude Nord, un détaillant de meubles qui a sa boutique sur le boulevard Saint-Laurent. L’étage supérieur a été transformé en appartement.


Bibliographie

Joanne Burgess, « Montréal 1870-1970 : portrait de l’industrie laitière urbaine », dans Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 71, 2002, p. 10-13

Laiteries du Québec


Voir aussi

Édifice Bovril
Stuart Company

 

[Recherche et rédaction : Christine Richard.
Nouvelles recherches et révision mars 2019 : Justin Bur.]