L’église St. Michael est sans nul doute l’un des symboles visuels les plus reconnus du Mile End. Mais son architecture en laisse plusieurs —les Montréalais comme les touristes— perplexes. En 2008, Kate McDonnell, avec l’aide de Kevin Cohalan, a publié un article sur le site Urbanphoto.net qui répond à presque toutes les questions concernant son histoire. Grâce à la traduction de Catherine Browne, nous sommes heureux de rendre cet article disponible au public francophone.
Par Kate McDonnell
Au fil des ans, j’ai entendu les gens supposer qu’il s’agissait d’un temple, d’une mosquée, d’une église orthodoxe ou même d’une synagogue. Cet immense bâtiment couronné d’un dôme est un élément familier du paysage montréalais. Mais à première vue, il ne fait pas penser à une église catholique.
Au tournant du vingtième siècle, des travailleurs et travailleuses d’origine irlandaise quittèrent leurs quartiers surpeuplés de Pointe Saint-Charles et du Griffintown et se déplacèrent vers le nord pour s’installer dans le Mile End. En 1902, l’archevêque catholique de Montréal, Mgr Paul Bruchési, approuva la création d’une nouvelle paroisse. La première messe fut dite à l’étage d’une caserne de pompiers, aujourd’hui disparue, à l’angle des rues Laurier et Saint-Denis. La première église fut située tout près, rue Boucher; c’était un bâtiment modeste, qui a disparu aussi.
En 1914, la paroisse dont la population augmentait avait besoin d’une église plus grande et plus majestueuse. Les travaux d’excavation commencèrent en juillet. On arrêta brièvement le chantier lorsque la guerre fut déclenchée à l’automne, mais il reprit en avril 1915, et en décembre l’église pouvait être utilisée. Le coût était de 232 000 $ et l’église pouvait accueillir 1 400 fidèles.
Ces renseignements proviennent d’une brochure publiée en 1927, alors que la paroisse avait déjà 25 ans. Le texte explique, et les images montrent, que le dôme et le sommet de la tour étaient tous deux ornés de motifs, et que la façade massive comportait les mots Deo dicatum in honorem St. Michaelis et une devise plus petite1 inscrite sur une bannière au-dessus des portes. Ces fioritures ont disparu, mais la façade est toujours gravée de trèfles qui nous rappellent l’époque où la paroisse était, en somme, une monoculture irlandaise, avec ses pères McGinnis, Fahey, McCrory, Walsh, O’Brien, Cooney et O’Conor et ses marguilliers Keegan, Gorman, Dillon, McGee et Flood.
Fait surprenant, il n’est jamais question de cloches, et on n’a aucune raison de croire que la tour en ait jamais hébergé : à la différence de la plupart des clochers d’église, la tour de St. Michael est fermée jusqu’au sommet.
Mais pourquoi un bâtiment de style byzantin ? C’était un style qu’appréciait Pie X, pape de 1903 à 1914. Ce conservateur sur le plan culturel interdit aux femmes de chanter dans les chorales d’église, désapprouva la musique baroque et classique et favorisa le retour au chant grégorien, et encouragea, pour les églises, l’adoption de styles d’architecture anciens. La brochure a parfois des élans lyriques, décrivant l’église comme un « temple superbe qui jette vers le ciel son dôme semblable à une mosquée », mais même à cette période, on est absolument incapable d’expliquer pourquoi ce style particulier a suscité l’ardeur des prêtres et marguilliers de St. Michael. Il s’agit visiblement d’une rupture avec l’architecture typique des églises catholiques de Montréal, qui jusque-là s’étaient contentées de variations sur des thèmes romans et gothiques. Quoi qu’il en soit, la fabrique trouva son architecte. Ce fut Aristide Beaugrand-Champagne, concepteur de plusieurs églises montréalaises (toutes plus conventionnelles que St. Michael) ainsi que du chalet du belvédère du mont Royal, qui donna à la paroisse un bâtiment sans équivalent parmi les centaines d’églises de la ville.
La fabrique fit également un choix inspiré en demandant à Guido Nincheri de dépeindre saint Michel observant la chute des anges déchus. Comme l’écrit l’auteur anonyme de la brochure de 1927 (je pense qu’il s’agit de Luke Callaghan, deuxième curé de la paroisse) : « La chute affreuse des anges est ingénieusement représentée : des quatre coins du dôme on les précipite dans l’espace constellé d’étoiles, dépouillés de leur beauté parfaite et de leur charme spirituel; leur draperies, déchirées par le terrible cataclysme, révèlent l’animal caché dessous. Ils sont enveloppés de flammes qui lèchent la base des corniches des arches et des bandes verticales qui soutiennent le dôme ».
(Les habitués du Mile End se souviendront que l’école située tout près, rue Clark – qui s’appelait simplement, au départ, l’école St. Michael’s – s’est appelée par la suite l’école Luke Callaghan. Ce bâtiment a perdu toutefois sa vocation scolaire.)
Nincheri, né et formé en Italie, vint au Canada en 1914 et y développa son propre style néo-Renaissance qu’on retrouve dans plusieurs églises montréalaises, y compris Madonna della Difesa où l’on peut voir une magnifique et tristement célèbre fresque montrant Benito Mussolini à cheval, entouré d’une foule adorant la Vierge. L’œuvre de Nincheri à St. Michael est tout aussi éblouissante. Il semble qu’on ne sache pas si c’est lui qui a conçu les vitraux de l’église, qui ne sont officiellement attribués à personne; leur style ne ressemble pas beaucoup aux exemples des vitraux de Nincheri qu’on peut voir dans cet article ou cet exemple provenant d’une église montréalaise.
En 1914, il aurait fallu une rare perspicacité pour prédire le point de bascule atteint cinquante ans plus tard quand la majorité des catholiques du Québec cessèrent tout à coup d’aller à la messe. Tout aussi loin dans l’avenir se trouvaient les facteurs sociaux qui allaient causer la dispersion de la plus grande partie de la communauté irlando-catholique de Montréal. En 1964, le cardinal Paul-Émile Léger fit en sorte que la mission polonaise St. Anthony of Padua (logée jusque-là dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu) pût partager l’église, et en 1969 la paroisse prit le nom officiel, qu’elle porte encore aujourd’hui, de St. Michael’s and St. Anthony’s Catholic Community.
Voici ce qu’on m’a raconté : il y a quelques années, le bâtiment étant visiblement en mauvais état, des Russes auraient demandé au diocèse s’ils pouvaient l’acheter pour une paroisse orthodoxe. Horrifiés, les gardiens polonais de l’église se sont mobilisés, ont recueilli des fonds et obtenu des subventions, ont refait le cuivre du dôme; et ils sont toujours plongés aujourd’hui dans une démarche de rénovation et de réfection. Les prêtres du siècle dernier ne se doutaient pas du fardeau financier qu’ils laissaient à la postérité : il a fallu consacrer au bâtiment bien des fois le 232 000 $ d’origine pour empêcher sa dégradation.
On ne se trompera probablement pas en affirmant que dans cinquante ans, St. Michael n’aura pas été transformée en condos. Elle restera ce qu’elle est, une grande folie architecturale parée d’ornements artistiques, témoin d’une époque où les travailleurs et les travailleuses pensaient faire bon usage de leurs revenus difficilement gagnés en contribuant à la construction d’un temple pour honorer leur dieu.
(Merci à Kevin Cohalan de la Société d’histoire du Plateau Mont-Royal qui a fourni les indices permettant de rédiger cette entrée).
Voir aussi le texte de Sarah Gilbert sur la fête de la San Marziale
Merçi à votre société de nous avoir instruit sur ce beau Batiment .
J’en reviens pas, une église byzantine pour des irlandais,(la folie du pape Pie X) curieux mélange, rien de trop beau. J’aimerais bien la visiter. Est-elle toujours en fonction? Marc
Comme l’écrit Kate, c’est maintenant une paroisse polonaise toujours active. Kevin Cohalan organise des visites guidées, l’été, depuis plusieurs années (ainsi qu’à l’église Saint-Enfant-Jésus, également très intéressante). Le site de la Société d’histoire du Plateau Mont-Royal (http://histoireplateau.org/) devrait annoncer les dates. Nous ferons de même sur notre groupe FB.