par Justin Bur
Il est facile d’oublier aujourd’hui que le Mile End n’a pas toujours été un quartier recherché. Ses fortunes et sa cote ont beaucoup évolué vers le haut et vers le bas. Au début du 20e siècle, les promoteurs immobiliers essayaient de positionner le quartier comme un nouveau Westmount, ou du moins un quartier bien, tout aussi désirable que les belles rues d’Outremont. Cette vision relevait plus de la fantaisie que la réalité, mais elle nous a quand même légué plusieurs maisons cossues sur le boulevard Saint-Joseph, l’avenue du Parc, et à certains endroits sur Hutchison, Jeanne-Mance, Esplanade et Waverly.
Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, le balancier s’était complètement inversé. Pendant les années 1960 et 1970, et même après, le Mile End et le Plateau adjacent figuraient parmi les quartiers les plus pauvres de Montréal.
En 1968, l’année où Pierre Elliott Trudeau est devenu premier ministre et a déclenché des élections fédérales peu après, un candidat indépendant dans la circonscription de Montréal–Laurier s’est fait remarquer. Montréal–Laurier englobait le Mile End, entre l’avenue du Mont-Royal et la voie ferrée, et une partie du Plateau adjacent. L’abbé Hubert Falardeau avait eu la responsabilité de la paroisse «pauvre» de Saint-Enfant-Jésus entre 1965 et 1967, où il a adopté le rôle de porte-parole des démunis de sa paroisse. Ses interventions ont créé des remous à tel point que l’Église l’a démis de son poste. Il n’en démordait pas: il a animé une émission de radio communautaire pour faire connaitre les conditions de misère de son quartier. Selon lui, 80 pour cent de la population locale avait des revenus de moins de 3000 $ par année…
Début juin 1968, le «Prêtre des Pauvres» a annoncé sa candidature aux élections fédérales du 25 juin comme candidat indépendant, après avoir pris congé de son statut de prêtre pour ne pas encore offusquer ses supérieurs. La nouvelle de sa candidature a été diffusée par la Presse canadienne dans tous les journaux du pays. Ici à Montréal, le journaliste George Radwanski lui a donné une bonne visibilité dans les pages de la Gazette. À cinq jours du scrutin, l’abbé Falardeau pouvait dire qu’il était confiant de gagner, comme tout bon candidat, sans avoir l’air complètement farfelu non plus. Les bulletins ayant été comptés, le Prêtre des Pauvres n’était pas le nouveau député de Laurier; le candidat libéral l’avait remporté, comme à chaque fois depuis trente-cinq ans. Mais Hubert Falardeau s’était placé bon deuxième, loin en avant des candidats de tous les autres partis. Et la pauvreté et les conditions de vie difficiles des gens des vieux quartiers de Montréal avaient eu droit à une discussion à la une des journaux.
Il y a eu d’autres porte-parole, d’autres mouvements pour rappeler les droits des gens des quartiers défavorisés. Il ne faut pas oublier le mouvement citoyen du quartier Milton-Parc, qui a arrêté sec un projet de «renouveau» urbain qui allait détruire toutes les maisons en rangée à l’est du campus de McGill jusqu’au boulevard Saint-Laurent, entre la rue Sherbrooke et l’avenue des Pins, pour les remplacer par un énorme ensemble de blocs d’appartements en hauteur: finalement, seulement cinq tours autour de Parc et Prince-Arthur ont vu le jour. Ce mouvement au sud de notre quartier est important parce qu’il a enlevé le goût des promoteurs – et des autorités municipales – d’envisager ce genre de destruction et reconstruction massives. Sans cela, le Mile End se serait rapidement retrouvé dans la ligne de mire.
Vers la même époque, en 1974, un organisme important a vu le jour: le Comité logement de Saint-Louis. Le comité existe encore aujourd’hui, sous le nom de Comité logement du Plateau Mont-Royal. Le comité a regroupé des citoyens pour lutter contre la démolition sauvage; les incendies criminels à répétition – environ 300 par année; le grand nombre de logements laissés barricadés ou insalubres. Ils voulaient protéger le patrimoine bâti du Plateau et du Mile End, faire valoir les droits des locataires, et améliorer les conditions de vie. Dans les années 80, un nouveau phénomène s’ajoutait aux pressions sur les locataires: la conversion des logements locatifs en copropriétés et l’expulsion des locataires de longue date. Le comité a participé également à la création de quelques coopératives d’habitation.
Dans ses premières années, les luttes du comité logement étaient frappantes et médiatisées, avec des manifestations, des occupations de logements menacés de démolition, des affiches placardées dans la rue. Avec le temps, et le reconnaissance accrue des droits des locataires, le rôle du comité a évolué vers l’éducation populaire, le soutien aux gens en difficulté, et la revendication des droits auprès des autorités dans les consultations publiques. Le comité a participé à l’aménagement de la place Gérald-Godin à côté de la station de métro Mont-Royal, tout près de ses bureaux dans le Centre de services communautaires du Monastère.
Grâce au travail de ces militants, le milieu de vie s’est graduellement redressé dans le Mile End et sur le Plateau. Depuis la fondation du Comité des citoyens du Mile End en 1982, il a été possible de travailler plus à l’amélioration de la vie du quartier et moins à la survie même du quartier! Mais le Mile End ne laisse pas de côté sa longue tradition militante. L’action citoyenne n’est pas à la veille de s’éteindre.
En plein dans le «Mile»
Radio Centre-Ville / programme 9: vendredi 31 mai 2013
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Capsule historique par Justin Bur pour Mémoire du Mile End