Les voisines derrière le mur 1


Mémoire du Mile End présente un autre volet de la version française des MileEndings, ce blogue sur le quartier écrit entre 2008 et 2011 par Sarah Gilbert. Tous nos remerciements à Hélène Faribault, qui a bénévolement traduit les articles. 

Photos : Sarah Gilbert

Photos : Sarah Gilbert

L’automne dernier, alors que les maçons s’affairaient sur les 25 pieds du mur de pierres du monastère des Carmélites, j’ai essayé de jeter un coup d’œil sur leur jardin secret. Le haut mur teintait tout de mystère, même le gazon. C’est du gazon cloîtré.

De l’autre côté du mur, au milieu d’un quartier où l’intimité est impossible, les Carmélites vivent une vie de silence et de solitude.

Elles passent la majeure partie de la journée en priant silencieusement, et dans l’annexe spéciale elles cuisent des hosties pour gagner leur vie. Elles quittent seulement le monastère pour aller chez le médecin ou le dentiste. Une bénévole fait leurs courses.

Il y a plusieurs années, elles étaient sur le point de vendre leur propriété et ses murs de pierres détériorés pour déménager à la campagne. Un promoteur voulait transformer l’endroit en condos. Mais les protestations des résidants et des activistes urbains, et le tollé général ne se sont apaisés que lorsque le Carmel et son jardin ont été classés site patrimonial qui ne pouvaient être développés.

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Dans le Mile End, là où les parterres ont la taille d’une carpette, le jardin du cloître de 2,5 âcres était important – même si nous n’y avions pas accès. Tout compte fait, nous sommes drôlement attachés à un endroit qu’on ne peut ni voir ni visiter.

À ma grande surprise, il n’a pas été si difficile de parler à quelqu’un à l’intérieur du cloître.

J’ai pris rendez-vous et, par un froid matin d’hiver alors que les pierres semblaient illuminées, j’ai sonné à la porte du monastère. En m’accueillant, la bénévole m’a demandé d’attendre au parloir à l’étage supérieur. Comme j’enlevais mon manteau, le téléphone et le carillon de la porte se sont tous les deux mis à sonner. De toute évidence, le monastère est un endroit animé, comme partout ailleurs

Sœur Marie-Denise arrive au parloir qui est divisé par une grille de bois et un rideau vert. Elle tire le rideau et tend le bras à travers la grille pour me serrer la main en souriant, puis prend place sur une chaise de l’autre côté de la grille qui est là pour séparer les religieuses du monde extérieur, même durant les visites.

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Elle a les yeux brillants et amicaux et porte une guimpe blanche, assortie du voile noir traditionnel et du costume brun de l’Ordre des Carmélites. Tout comme les Carmes déchaux, elles ne portent pas de chaussures.

Sœur Marie-Denise porte des chaussettes brunes et des Birkenstocks. Elle a 58 ans et s’est jointe aux Carmélites en 1992. Contrairement à la plupart des religieuses de cette communauté, elle travaillait à titre de fonctionnaire à Ottawa, avant d’entrer dans les ordres.

La grille n’est pas un mur de pierre, mais la conversation qui traverse cette barrière nous rappelle que nous vivons des vies différentes.

Quand j’avoue avoir jeté un coup d’œil dans le jardin, elle me dit que je ne suis pas la seule. Des joggeurs courent régulièrement à travers le chantier de réfection du mur pour regarder dans le jardin.

« C’est le mystère qui l’entoure. C’est juste parce que vous ne savez pas ce qu’il y a là », dit sœur Marie-Denise. « Par contre, ajoute-t-elle, il n’y a pas de mystère. Si vous allez sur Google ou sur Mapquest, vous verrez le jardin. Il y a une photo satellite. »

Je n’avais jamais pensé à cela. Une religieuse cloîtrée me rappelle comment me servir d’Internet.

« Je suis l’économe, explique-t-elle. Toute notre comptabilité est sur l’ordinateur. Oh la la. »

Je regarderai sur Google plus tard, mais pour le moment, je demande à sœur Marie-Denise de me dépeindre le jardin.

Il y a une rangée de tilleuls. Viennent ensuite les érables, au nombre d’environ 25, surtout des érables argentés. Il y a un petit verger et deux sortes de pruniers, de poiriers et de cerisiers, pas les cerises bing, une autre variété qui n’est pas aussi sucrée. Avant, il y avait un poulailler. Une des sœurs, qui est arrivée ici en 1939, s’occupait des poules. Mais à la fin des années 1980, il a été transformé en ermitage.

Elle explique qu’un bienfaiteur entretient les sentiers pour que les sœurs puissent se déplacer dans le jardin et se rendre à l’ermitage, même en hiver. Elle ajoute qu’en été, comme il fait trop chaud et trop humide pour faire des hosties dans l’annexe, elles suspendent cette activité entre le 24 juin et la fête du Travail. Ainsi, comme n’importe qui autour d’ici, les sœurs ont des stratégies pour faire face à la neige et en été, à la chaleur et à l’humidité.

Thérèse d’Avila, dans l’Espagne du 16e siècle, a fondé l’Ordre des Carmélites dont les monastères permettent à un maximum de 21 religieuses de vivre dans un environnement intime de recueillement tranquille. Dans le monastère du Mile End, il y a maintenant 12 religieuses. Quand je demande ce qu’elles font pour se divertir lorsqu’elles ne travaillent pas ou ne prient pas en silence, sœur Marie-Denise laisse échapper un petit rire de l’autre côté de la grille, comme si la réponse venait de soi : « Nous bavardons! »

Un poulailler n’était pas rare à l’heure de la construction du monastère, en 1895, avant que Montréal ne s’étende autour du village de Saint-Louis-de-Mile-End et de ses fermes.

Les sages Carmélites se retrouvent aujourd’hui entre les deux artères les plus animées de la ville : Saint-Laurent et Saint-Denis. Et, malgré le mur qui les entoure, l’activité urbaine les affecte.

« Au fond du jardin, nous avons des pins qui nous protègent en partie des individus tapageurs qui se trouvent de l’autre côté du mur, se rappelle sœur Marie-Denise. Nous trouvons les objets qu’ils jettent dans le jardin. Ils lancent de tout : des bouteilles, des pizzas, des cellulaires. »

Elle montre dans l’autre direction, les édifices industriels de 10 étages qui surplombent le monastère, la chapelle et le jardin.

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« De là-haut, vous avez une vue sur le jardin et même à l’intérieur du cloître, dit-elle. Nous ne tenons pas compte des manufactures. Toutefois, un été, quelqu’un faisait jouer de la musique constamment. Nous ne pouvions plus sortir à l’extérieur. Nous ne pouvions même pas prier. C’est une chose d’entendre la rumeur de la ville, mais c’en est une autre d’entendre un radiocassette en permanence. »

Sœur Marie-Denise dit toutefois que les sœurs se considèrent membres de la collectivité.

« Nos familles nous tiennent au courant de l’actualité. Nous sommes bien sûr abonnées au Devoir et nous recevons Le Plateau. Nous tentons de garder le contact. Encore plus, depuis qu’ils veulent construire d’autres condos à côté d’ici.

Notre mission consiste à prier pour tous ceux qui vivent en ville. Nous n’avons pas besoin de tout connaître pour savoir quelles épreuves touchent Montréal. Une seule goutte suffit. Nous prions pour tous, même les athées et les criminels. Ce sont tous les enfants de Dieu. »

Les Carmélites prient pour l’ensemble du voisinage et pour la ville qui est au-delà. Pour ceux qui font jouer de la musique tonitruante, pour les lanceurs de bouteilles, de cellulaires et de pizzas aussi.

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(Première publication : 7 janvier 2009)


Commentaire sur “Les voisines derrière le mur

  • Jacqueline Cousineau

    Ah ! Quelle belle coïncidence que cet article ! Peut-être que c là que mon amie d’enfance vit ! Elle s’appelait Florence T.

    Je vais appeler pour en savoir un peu plus . J’espère la revoir !

    À bientôt Florence ! De Jacqueline C.

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